Sur les MOOC qui font pschitt… et sur l’innovation de rupture en général

Ainsi donc le petit Landerneau de l’enseignement s’est retrouvé bien agité récemment par un article du Monde intitulé, excusez le sens de la nuance, « Les MOOC font pschitt ». Soulagement palpable chez les dinosaures si l’on en juge par les retweets plein d’allégresse, soupirs d’exaspération chez les technologues et concert d’auto-congratulation générale sur le thème « Je vous l’avais bien dit ». Outre le fait que, comme c’est bien souvent le cas avec la presse, le contenu de l’article est bien plus nuancé que son titre ne le laisse suggérer, il est opportun de rappeler quelques principes de l’innovation de rupture qui devraient rendre certains jugements plus sobres, et surtout moins prompts.

Plus d’un million. Ils sont plus d’un million d’utilisateurs à s’être inscrits pour le nouveau MOOC de Coursera sur Bitcoin. Mais les MOOC font pschitt. Coursera compte près de trente millions d’utilisateurs enregistrés et deux mille cours en une quinzaine de langues (dont celui de votre serviteur sur l’effectuation). Mais les MOOC font pschitt. Coursera facture un accès à sa plate-forme de cours aux entreprises, avec des factures annuelles en millions d’euros. Mais les MOOC font pschitt. Plus de 35 millions de personnes ont suivi un MOOC en 2016 et plus de 6.500 différents étaient offerts sur les différentes plates formes, par environ 700 universités. Mais les MOOC font pschitt. En France, OpenClassroom revendique 3 millions d’étudiants par mois, issus de plus de 120 pays, propose 300 cours certifiants, et près de 30 programmes diplômants. Mais les MOOC font pschitt.

Bien sûr on pourra objecter qu’il s’agit d’un feu de paille. On note par exemple que le taux de complétion (ceux qui terminent le MOOC) est très faible, de l’ordre de 5% et ce chiffre est brandi ad nauseam pour démontrer l’échec du concept. Mais c’est mal comprendre ce à quoi servent les MOOCs et surtout cela revient à juger une innovation de rupture avec les critères de l’ancien monde, erreur classique. L’enseignement traditionnel est entièrement focalisé sur la délivrance d’un diplôme ou d’un certificat. Aller jusqu’au bout et décrocher le-dit diplôme ou certificat est donc la mesure de succès de la formation. Mais les MOOCs fonctionnent différemment: ils correspondent à un enseignement à la carte, piloté par l’apprenant. Plusieurs participants de mon MOOC m’ont ainsi dit qu’ils avaient choisi certains modules et ignoré les autres. Ils se moquaient de terminer le MOOC et encore plus d’avoir un certificat à la fin. Avec les outils de mesure de l’ancien monde, ils sont considérés comme ayant échoué. Avec celui du nouveau monde, ils ont obtenu ce qu’ils voulaient en étant en contrôle de leur apprentissage. C’est une réussite. L’ancien monde ne mesure pas l’apprentissage; il mesure la réussite à l’examen. Quelles leçons a-t-il à donner au nouveau monde?

J’arrive… lentement (Source: Wikimedia Commons)

Sous-estimer l’impact d’une innovation de rupture: Une erreur classique

Comme je l’ai écrit à de nombreuses reprises sur ce blog, sous-estimer l’impact d’une rupture dans son environnement est le propre des acteurs en place. Cela tient en grande partie au fait que dans sa période initiale, et souvent durant très longtemps, la rupture résout un problème des non consommateurs. Elle ne prend pas de clients aux acteurs existants, elle étend le marché en offrant un service à ceux qui jusque-là ne pouvaient se l’offrir. Ainsi, les premiers clients de SouthWest Airlines, la première compagnie low cost, étaient des étudiants et des touristes. Voyant que SWA ne leur prenait pas de clients, les compagnies classiques ont pu se rassurer en se disant qu’elles n’étaient pas menacées.

Et donc aujourd’hui les MOOC ne prennent pas de client aux grandes écoles. Comme j’en ai fait l’expérience avec mes 3 MOOCs, les utilisateurs sont surtout ceux qui ne peuvent pas utiliser l’enseignement traditionnel: soit parce qu’ils travaillent déjà, soit parce qu’ils habitent dans une région où aucune école ne délivre l’enseignement souhaité, soit parce que le format ne leur convient pas (enseignement à la carte pour une technique très spécialisée comme c’est le cas du MOOC Bitcoin par exemple). Comme très souvent pour une rupture, celle-ci n’a donc pas tellement vocation à remplacer l’existant mais plutôt à offrir une configuration alternative, complémentaire, du moins au début. Il est donc tout à fait probable que subsisteront côte à côte à l’avenir un enseignement traditionnel et une large offre de MOOCs, comme coexistent aujourd’hui Netflix, TF1 et les cinémas multiplexes.

Lente mise au point de l’innovation

Il est évident, et l’article du Monde, plus cité que lu, le souligne très clairement, que les MOOCs se cherchent encore. Il serait ridicule d’attendre qu’ils soient parfaits du premier coup. Les formats pédagogiques évoluent, les plates formes développent leurs spécificités, elles font des choix pédagogiques différents et mettent peu à peu au point leur modèle. Comme l’observe Pierre Dubuc, cofondateur d’OpenClassroom, « il est clair sur le fond que les MOOC seuls ne sont qu’un (petit) élément de l’équation. En rajoutant des projets, des mentors, un diplôme, un emploi garanti, etc. on commence à avoir quelque chose d’intéressant. » Si l’industrie automobile a mis près de 150 ans à devenir mature, de grâce laissons au moins quelques années aux MOOCs pour faire de même, et n’excipons pas d’échecs çà et là – ils sont inévitables c’est la nature de l’innovation- pour tirer des conclusions hâtives et surtout, pour les acteurs en place, se rassurer en se disant, Madame la Marquise, que tout va bien. La grande distribution mesure aujourd’hui le danger d’une telle attitude, elle qui a sous-estimé Amazon durant des années et voit aujourd’hui le géant américain, longtemps pris pour un simple vendeur de livres, écumer méthodiquement leurs marchés. Des années à crier partout qu’Amazon fait pschitt, à se rassurer, à se mentir pour se retrouver avec un train de marchandises qui vous arrive droit dessus.

Parce qu’un jour, inévitablement, la rupture va au-delà des non consommateurs et déborde sur les marchés historiques. Le low cost aérien devient mainstream et les étudiants des années 70 sont devenus des adultes et trouvent parfaitement normal de continuer à voyager avec SWA, EasyJet ou RyanAir. Netflix remplace BlockBuster. Amazon prend la tête des ventes de produits non alimentaires devant les acteurs historiques de la grande distribution (Carrefour, Leclerc). Oui, il reste des cinémas, mais leur nombre et le chiffre d’affaires qu’ils représentent est désormais infime au regard des chiffres d’affaires des autres distributeurs de films que sont Netflix, Orange, ou Free.

Oui, les MOOCs sont la grande rupture, mais pas la seule, qui menace les grandes institutions d’éducation. Ces institutions souhaitent-elles à l’avenir être un multiplex rentable dans une banlieue ou une multinationale?

L’article du Monde, « Les MOOC font pschitt« , conclut de manière plus nuancée que son titre ne le suggère que toute rupture prend du temps et que les MOOC n’ont pas dit leur dernier mot loin s’en faut.  

Mes articles précédents sur les MOOC: Le grand méchant MOOC ou la rupture en marche dans l’éducation supérieureLa grande rupture qui menace les écoles de commerce (et les autres) et La grande rupture qui menace (plus que jamais) les écoles de commerce. Sur la capacité des entreprises à se mentir à elles-mêmes face à une rupture, lire mon article Innovation de rupture: Tout va très bien madame la marquise! Sur la sous-estimation initiale des innovations de rupture, lire La sous-estimation initiale des innovations de rupture, une erreur classique – à propos de l’impression 3D.

25 réflexions au sujet de « Sur les MOOC qui font pschitt… et sur l’innovation de rupture en général »

  1. Merci pour votre belle illustration des principes explicités dans votre MOOC relatif à l’innovation de rupture (que j’ai particulièrement apprécié) appliqué aux nouvelles prestations de formation telles que les MOOC.
    Ces prestations, en rupture avec les prestations dominantes actuelles, devraient en effet être évaluées sur la base de nouveaux critères de performance adaptés aux nouveaux usages et usagers.

  2. Tout comme l’organisation traditionnelle des entreprises a du mal à voir la menace représentée par les organisations plus attractives / résilientes, etc… les Grandes Ecoles ont du mal à percevoir vraiment la disruption apportée par les MOOCs. Votre article est très clair, et très perspicace! Inscrite chez COURSERA, l’accès aux contenus de qualité, facilement, partout, comme je veux, n’a pas fini de me fasciner…
    Merci pour le partage de votre réflexion!

  3. L’histoire dit que Monsieur Honda, le fondateur de la firme, a commencé juste après guerre par fabriquer des segments de moteur. le marché était là.
    et comme il ne disposait pas du savoir faire il est allé à l’université, qu’il a quittée dès le dit savoir faire acquis.
    on connait la suite.
    Certainement qu’aujourd’hui il aurait utilisé les mooc sans se poser la question de la complétion ni de la peau d’âne de fin de cursus.

    1. On apprend à usiner des segments à l’université ? Bon, c’est vrai, le Japon n’est pas la France…
      L’histoire dit aussi qu’il a bénéficié, comme toute l’industrie automobile japonaise (re-)naissante, de gros contrats américains pour remettre en état tous les véhicules abandonnés sur les iles du Pacifique lors de l’offensive vers le Japon, afin de les envoyer de toute urgence en Corée, où la guerre faisait rage, et que ça s’est accompagné d’un énorme effort de formation de la main d’œuvre locale.

      Cela dit, un exemple plus récent c’est celui d’E. Musk qui, avant de se lancer dans l’industrie spatiale, a suivi toute une formation universitaire sur les lanceurs spatiaux. Histoire de ne pas devenir le « crétin gestionnaire » qu’un (chef de) technicien peut impunément balader. Comme c’est fréquent dans les grosses boîtes.

  4. Philippe, un grand merci pour ce bel article. Vous rappelez merveilleusement bien le contexte des innovations de rupture, en l’appliquant aux MOOC, et en commentant le comportement de l’ancien monde.

  5. Est ce qu’il existe un MOOC pour apprendre à penser cohabitation avant de penser à éviction. Soit la formation classique soit les MOOC et rien d’autres. Tous ceux qui évoluent dans un monde qui bouge savent très bien que rien n’est aussi simple et contrasté. Pourquoi être obligé de suivre un cours complet juste pour avoir une information? l’objectif de toute formation est il le diplôme. C’est en cela que la formation professionnelle doit évoluer. Nous ne sommes pas à l’école à la recherche d’un diplôme, nous sommes dans les entreprises à la recherche de datas pour solutionner un problème actuel. Pourquoi ne pas envisager la formation professionnelle plutôt comme la mise à disposition d’informations et de savoirs faire facilement accessibles et applicables. Plus que de la théorie les professionnels ont souvent besoin de solution rapide quitte plus tard, un fois le pb passé, à développer leur connaissances par une formation. A croire que ceux qui bâtissent les programmes n’ont jamais été confronté à un besoin en évolution de compétences au sein de leurs structures. Ont ils eu le temps de suivre tout un cursus pour devenir expert (formation classique) ou leur expertise s’est elle créer au fur et à mesure de leur expérience (MOOC et terrain). Un peu des 2 je pense. Dur de quitter la reconnaissance de l’excellence par le diplôme.

    1. Bien sur pas besoin d’être expert en marteau pour utiliser un marteau. MAIS il me semble toutefois que cette argumentation, à laquelle j’adhère, repose beaucoup sur le sens du mot information : « …suivre un cours complet juste pour avoir une information ». Quel est le degré de déshabillage acceptable dans la délivrance d’une information… qui n’est pas comme on le sait une simple data.

  6. Si le taux de completion n’est pas un critère valide (ce dont je conviens). Quels seraient les critères plus appropriés à l’évaluation d’un MOOC ?

    1. La satisfaction des utilisateurs! On peut ensuite évaluer leur apprentissage, mais ça n’a d’intérêt que si eux le demandent. Beaucoup d’utilisateurs de MOOC sont parfaitement capables d’évaluer si le MOOC leur a permis d’apprendre quelque chose.

  7. Surprenant de jauger les MOOC sur leur taux de complétion.

    Un exemple personnel: j’ai suivi le MOOC « droit comparé des contrats franco allemand » de l’université de Valenciennes, et pourtant:
    1/ je ne suis pas juriste
    2/ je n’envisage par de me spécialiser dans le droit des contrats franco allemand.

    Par contre j’ai exercé des activités de mandataire dans une société en Autriche,et ce MOOC me permet, pour un investissement réduit (une 10aine d’heure) et à risque limité (qq blessures d’amour propre au moment des corrigés):
    – de confirmer les points 1 et 2 ci-dessus 🙂
    – d’avoir identifié qq uns des pièges qui feront que le moment venu je me tournerai vers mon juriste préféré à temps pour éviter des ennuis ultérieurs.

    Un MOOC non suivi intégralement ou non réussi, c’est aussi un moyen de se construire de l’expérience sur un sujet qui peut être périphérique (mais utile) à son activité principale, à coûts réduits (mieux vaut une tole au MOOC qu’un procès mal engagé dans une législation étrangère) .

  8. Il me semble que les idées développées ici illustrent bien la différence qu’il y a entre la « fécondité » et la « validité » :
    – La fécondité, c’est la capacité d’une idée ou d’un système à se multiplier
    – La validité, c’est le fait pour une idée ou un système d’être en adéquation avec une situation

    L’approche « mooc » n’est pas très « valide » (les moocs sont un peu bancals, ils sont moins intégrés), mais très féconde : on touche un public nouveau, qui va revenir et faire des émules. L’enseignement traditionnel de son côté est un modèle « valide », peu fécond : on y passe surtout parce que l’on souhaite obtenir un diplôme que l’on ne peut pas obtenir ailleurs. De même l’aérien low-cost est fertile, il a touché un public nouveau. L’aérien standard est valide, il propose une bonne offre, mais infertile : il ne sait pas créer de nouveaux clients – ce qui causera sa mort à moyen terme.

    Mon hypothèse est que fertilité et validité n’ont pas de liens, et que la fertilité est le seul critère important. Même une innovation « très invalide » parviendra à percer si elle est « hyper féconde » : par évolution naturelle la validité s’affinera au fil du temps. Alors qu’une idée juste « valide » échouera toujours si elle est hypo féconde.

    Tout le travail de l’entrepreneur se résumerait alors uniquement à « chercher et rendre les idées fertiles » (ce qui n’est pas une mince affaire) sans s’occuper de savoir si elles sont valides (ce qui est déjà ça de moins à faire).

  9. Bonjour, quel est votre 3eme MOOC ? J’ai suivi celui sur l’effectuation et sur l’innovation de rupture, tous les 2 excellents d’ailleurs, j’aimerais donc bien faire le dernier. A noter que je dois faire partie des 95%, car meme si j’ai suivi tous les cours (vidéos + lectures), je n’ai pas fait les activités plus « contraignantes » en terme de temps comme les projets…

    1. Ah il y en a qui suivent au moins! Le 3e c’est celui sur le design thinking, qui a connu deux éditions mais qui n’est plus offert actuellement. Par ailleurs, encore une fois ce que j’aime dans les MOOC c’est précisément que vous puissiez définir votre parcours en fonction de vos contraintes…
      Merci

  10. Les MOOC sont des outils de formation complémentaires aisément accessibles quelque soit la localisation géographique de l’utilisateur. Cela manquait dans le paysage de la formation.
    Ils ne remplacent pas une formation de base, qui confère l’outil intellectuel et les connaissances minimales qui sont -justement- nécessaires pour accéder aux MOOC.
    Complémentaire ne veut pas dire remplacer. Et dans ce cas précis, la comparaison avec le secteur du transport aérien ne vaut pas raison.

    Hugues Chevalier.

    1. Merci. La comparaison avec l’aérien portait sur 1) Le délai que met une innovation de rupture à avoir un impact sur l’industrie, et 2) L’attitude des leaders actuels. Rien de plus.

  11. « il est clair sur le fond que les MOOC seuls ne sont qu’un (petit) élément de l’équation. En rajoutant des projets, des mentors, un diplôme, un emploi garanti, etc. on commence à avoir quelque chose d’intéressant. »

    Quelque chose comme le CNAM? Comme les organismes de formation professionnelle?

    Si la barrière à l’entrée qu’est l’inscription aux CNAM et autres organismes était aussi abaissée que le paiement en CB sur les plateformes de MOOC et si le CNAM augmentait la fréquence des sessions de formation à 1 par mois, alors les-dites plateformes auraient déjà disparues.

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