Réponse à Bernard Stiegler: Disruption, civilisation et lien social – L’angoisse de l’intellectuel français au moment du penalty

Dans une interview au journal Libération, le philosophe Bernard Stiegler déclare que l’accélération actuelle de l’innovation court-circuite tout ce qui contribue à l’élaboration de la civilisation. Il ajoute que la « disruption » (rupture, en français) constitue une barbarie « soft » incompatible avec la socialisation, pendant de la barbarie « hard » produite par Daech. On pourrait y voir là un entretien de plus d’un intellectuel français en déshérence, et passer son chemin, mais l’auteur est philosophe, ce qui en France équivaut à un passeport pour imposer sa pensée au monde, et directeur de l’institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou. Pas n’importe qui donc. Voyons cela de plus près.

En toute sincérité, je ne savais pas qu’il existait un « Institut de recherche et d’innovation » du Centre Pompidou. Je doute que beaucoup de monde le sache, en fait. Mais passons. Donc nous vivons un mode de « disruptions » (bizarrement, Stiegler n’utilise pas le mot rupture). Selon lui, la fuite en avant technologique produit une perte de repères et une désespérance qu’il est impératif d’assumer afin de repenser l’élaboration des savoirs et la macroéconomie.

Cette révolution serait en effet destructrice de lien social. C’est grave! Le lien social est en effet une obsession française. C’est un concept indéfinissable. Un mot valise. Un truc forcément bien, puisqu’il y a social dedans, et qu’en France s’il y a « social » c’est bien, mais s’il y a « économique » ce n’est pas bien. Donc les ruptures en cours seraient destructrices de lien social! Vieille antienne qui date au moins de la première révolution industrielle dans laquelle se sont retrouvés marxistes et conservateurs tous deux opposés au nouvel ordre libéral qui émergeait. Ce qu’ils voulaient dire par perte de lien social, c’était au fond que les bouleversements remettaient en cause les structures de contrôle social qui avaient été mises en œuvre par les castes dirigeantes. Dans « lien social », après tout, il y a lien.

Brisons ces liens sociaux qui nous emprisonnent!
Brisons ces liens sociaux qui nous emprisonnent!

Mais pleurer la perte du lien social dû aux ruptures, c’est faire preuve d’une incompréhension profonde de ce que ces ruptures créent. Que ce soient les makers, les MOOCs (cours en ligne), BlaBlaCar ou AirBnB, les témoignages se multiplient pour montrer comment ces nouveaux outils de la disruption sont profondément sociaux. Je ne compte plus les gens qui me disent pouvoir rencontrer des gens d’horizons très différents, et nouer avec eux des liens d’amitiés, voire plus, grâce à ces outils. J’avais même dans ma classe une responsable d’innovation d’une grande entreprise qui utilise désormais systématiquement BlaBlaCar pour s’ouvrir à des cultures différentes. Contrairement à ce que croient les penseurs en cave, qui n’ont probablement jamais utilisés l’un de ces services, c’est là que s’invente et se crée le monde de demain, et rien, absolument rien, ne laisse penser qu’il sera moins social que celui fantasmé d’un paradis social français.

Stiegler continue en affirmant qu’en raison de ces ruptures qui s’accélèrent, nous n’arriverions plus à élaborer des savoirs… Il faut avoir une certaine dose de cynisme, ou d’aveuglement, pour énoncer une telle contre-vérité alors qu’au contraire, jamais nous n’avons autant produit de savoir, jamais la machine à connaissance humaine n’avait autant produit. Nous sommes au cœur d’une nouvelle révolution industrielle, dont les possibilités extraordinaires se devinent chaque jour un peu plus, mais Stiegler conclut que nous n’arrivons plus à produire du savoir.

Barbares!

Stiegler fustige également The Family, l’incubateur parisien à la pointe de la pensée sur l’entrepreneuriat français qui se vante de représenter les barbares, entrepreneurs à l’assaut des dinosaures industriels actuels. Et de relier cette barbarie « soft » à celle, « hard » représentée par Daech. Rien de moins. Si Stiegler avait lu un peu plus de grecs, il saurait que le mot « barbare » était utilisé par ces derniers pour désigner les peuples n’appartenant pas à leur civilisation, et qu’ils ne parvenaient pas à comprendre car ils suivaient des coutumes différentes. Eh bien c’est effectivement ce que font les entrepreneurs, et le vocable de The Family est parfaitement adapté: les entrepreneurs « disruptent » les industries actuelles en inventant de nouvelles règles, de nouveaux modèles d’affaire, notamment parce que les règles actuelles, écrites par les acteurs en place, favorisent ces derniers. C’est donc le jeu-même de l’innovation que de remettre ces règles en question. Cela n’a rien de nouveau, et Schumpeter l’avait remarqué il y a quasiment un siècle. Encore faut-il l’avoir lu. A cette aune, rapprocher les barbares entrepreneurs et Daesh n’est qu’un amalgame aussi stupide qu’ignoble, en particulier après le énième attentat de Bagdad qui a fait 250 morts. Au-delà de l’effet rhétorique, c’est oublier que les entrepreneurs disrupteurs construisent avant de détruire, mais pour Stiegler, seule la destruction semble compter.

De là, selon lui, notre monde serait désespéré. Il faut avoir vécu sur Mars ces dernières années pour voir un monde désespéré par les ruptures en cours. Je rencontre tous les jours des jeunes déterminés à construire leur avenir, à leur façon, comme leurs aînés l’étaient avant eux. Qu’il y ait des gens désespérés, surtout en France, c’est indéniable, mais la source de ce désespoir se trouve non pas dans les entrepreneurs sources de disruption, mais dans la sclérose du vieux système social français pensé par Vichy et repris avec allégresse par le conseil de la résistance, totem absolu de la pensée intellectuelle française au nom duquel sera immolé jusqu’au dernier chômeur français. Face à cette sclérose, l’innovation offre bien un espoir de faire bouger les choses.

S’il est important de réagir à ses propos, c’est que Bernard Stiegler se fait ainsi l’héritier d’une longue lignée d’intellectuels français qui ont fait profession de détester le monde qui vient. Cela on ne peut guère le lui reprocher, c’est son droit. Ce qu’on peut en revanche lui reprocher c’est que, comme ses illustres et moins illustres prédécesseurs, cette détestation procède avant tout d’un refus de comprendre ce monde. C’est une attitude profondément conservatrice, voir réactionnaire pour employer un vocabulaire qui lui serait sûrement cher. Tocqueville, en son temps, avait eu le courage de vouloir comprendre un monde qu’il ne souhaitait pas. Mais c’est placer la barre bien haut, convenons-en. Au-delà, et cela on peut également le lui reprocher, Bernard Stiegler s’inscrit dans une longue tradition de pessimisme, hériter involontaire de Malthus, qui ne voit dans l’innovation que la destruction du monde actuel idéalisé.

Reconnaissons-le: Il n’est pas en soi mauvais de vouloir préserver certaines choses. La Tour Eiffel est admirable, il faut la préserver. Le camembert est un trésor national. Il faut le préserver. La pêche à la ligne, sans doute également. La nation s’est même récemment levée pour défendre l’accent circonflexe! On ne peut pas en dire autant de la lampe à huile, de Gaulle l’avait déjà dit en son temps, ni du modèle social que des thuriféraires comme Stiegler ne se lassent pas de défendre. La vision idéale qu’ils en ont ne correspond plus depuis longtemps à la réalité, faite de chômage massif et durable, mais peu importe: on est dans la phraséologie, entre soi.

Un tel refus traduit sans doute le désespoir de l’intellectuel face à un développement qu’il ne contrôle pas. Car au fond ce que détestent les intellectuels (enfin ceux qui se proclament tels), c’est que le monde de demain s’invente et se crée sans eux, que ceux qui l’inventent n’ont pas besoin eux. Ca fait des centaines d’années que c’est comme cela, que les Bernard Stiegler aujourd’hui comme avant en sont réduits à commenter une révolution à défaut de pouvoir la conduire. Comment ne pas dès lors la détester, et plus encore détester ceux qui, eux, la conduisent?

Car loin de court-circuiter tout ce qui contribue à élaborer la civilisation, l’innovation de rupture est au contraire constitutive de cette civilisation. Elle est le reflet-même de la nature humaine, et c’est ce qui a fait ce que nous sommes, et la civilisation qui est la nôtre depuis au moins homo habilis il y a 2,7 millions d’années. Et bien-sûr depuis 2,7 millions d’années des pré-Stiegleriens ne cessent de crier « Back to the trees! Back to the trees! » à cause de toutes ces inventions disruptives, destructrices de civilisations. Nous étions tellement mieux dans les arbres, paradis social où au moins, quand on crevait de faim, tout le mode crevait de faim. Ah oui le Moyen-Âge c’était convivial aussi.

La rhétorique Stieglerienne, loin de contribuer à sauver notre civilisation, à supposer que celle-ci soit en danger du fait de la disruption, est en fait profondément réactionnaire; Elle ignore volontairement l’énorme potentiel créatif et social de ces ruptures. Elle est aussi et surtout une insulte à ceux qui, entrepreneurs et innovateurs de tous poils, ne se résolvent pas à voir notre pays devenir un grand musée pour les chinois récemment enrichis par une posture différente quant à l’avenir et qui ne pensent pas qu’il faille obtenir l’imprimatur d’un « Institut de recherche et d’innovation » du Centre Pompidou pour que soit organisée une innovation officielle estampillée civilisatrice et sociale.

Alors oui, les barbares sont peut-être à l’œuvre pour détruire une civilisation idéalisée par Bernard Stiegler. D’ailleurs, Arnold Toynbee ne manquait pas de remarquer, à propos des civilisations qu’il avait étudiées – lui – en profondeur: « Nous ne déclinons pas parce que les barbares nous attaquent; Les barbares nous attaquent parce que nous déclinons ». Que Bernard Stiegler utilise les ressources du contribuable pour étudier pourquoi cette civilisation qu’il idéalise s’écroule, au lieu de s’inquiéter de celle que les entrepreneurs sont en train de créer sans lui, et peut-être même contre lui.

L’entretien de Bernard Stiegler au quotidien Libération peut être lu ici. Voir aussi l’article de Stéphane Vial « Bernard Stiegler, la fin d’un philosophe« .

56 réflexions au sujet de « Réponse à Bernard Stiegler: Disruption, civilisation et lien social – L’angoisse de l’intellectuel français au moment du penalty »

  1. Bon, je vais me sur-rajouter pacifiquement à la masse de commentaires allant dans le sens de ce cher Bernard, mais on va plutôt axer ça sur ses thèses réelles puisqu’il est naturellement inconcevable de réduire la pensée d’un auteur à une phrase extraite d’une interview : on n’est pas au bac. Il y a plusieurs grandes sources d’inspiration dans ses thèses : c’est un medley entre un néo-kantisme, du Freud, du Canguilhem (pour moi la seule faiblesse réside dans sa conception de la biologie mais c’est un point trop délicat à aborder), une pensée deleuzienne et derridienne réactualisée à l’heure du numérique et des « big-data », dans lesquels il pressent l’affaiblissement progressif de la raison et l’hégémonie du calcul, et surtout, point central, articulée autour d’un héritage simondonien. Vous ne pouvez pas le comprendre si vous n’avez pas ingurgité tout ça, et c’est le minimum syndical… Ce mec a bossé comme un fou, il a fait de la prison et il en a chié : ce qui me plaît chez lui c’est qu’il est fondamentalement humain, bien plus que toutes les machines qui finiront tôt ou tard par nous remplacer à en croire le MIT ou Oxford. Vous ne pouvez pas nier, en tant qu’entrepreneur, que le travail est en train de disparaître et que nous laissons sciemment faire, que vos AirBnB, vos Uber, vos Google Cars j’en passe et des meilleurs, si « glorieux » soient-ils du point de vue de la création de « lien social », ne font qu’accélérer cette marche inéluctable. Alors vous pourrez défendre le fait qu’en effet, on peut faire des rencontres plus facilement, que le confort augmente en conséquence pour les utilisateurs, et que tout va vers le mieux, sans aucun doute. Ce serait oublier les milliers – millions de gens laissés sur le carreau parce que ce mode de vie salutaire et disruptif ne leur a pas laisser l’occasion d’attraper le wagon en marche, tout simplement : suicide des paysans indiens, des étudiants japonais, des américains et des européens, malaise toujours plus conséquent des travailleurs du monde entier à qui on retire progressivement un savoir-faire et donc un savoir-être, repli sur soi et nationalisme, pop-religion avec le bouddhisme-zen, volonté exprimée d’un retour à la terre, perte de reconnaissance de l’appartenance à un cosmos, explosion des séjours en retraite spirituelle, perte massive de sens et désintérêt, nihilisme et athéisme primaire. Enfin la liste est longue. Je n’accuse pas spécialement les entrepreneurs, je ne leur ferais pas cet honneur, mais vous participez d’un mouvement qui vous dépasse, comme une lame de fond et qui porte un nom, avancé par Nietzsche : la mort de Dieu. Vous défendez le vôtre, nouvellement porté aux nues, le Dieu Innovation : force est de constater qu’il ne fait pas que des heureux, et que laisser entendre le contraire relève franchement de la psychiatrie. A côté de ça, l’innovation en tant que telle n’est pas mauvaise en soi, évidemment ! Et Stiegler le défend bien mieux que vous… Il en appelle à une pharmacologie positive, comme une technique repensée pour le soin de l’âme que suppose à spectre plus large une « anthropologie négative », c’est-à-dire un revirement complet de l’horizon auquel nous conduit le mythe du progrès violent et barbare parce qu’en opposition avec notre nature intime et désirante (c’est là qu’apparaît Freud). En fait, je suis curieux de savoir comment et pourquoi vous, vous défendez l’innovation… Vous êtes un nanti je suppose, avec votre joli visage dodu et votre costume, vos Google Glass, votre agenda de poche et votre CardioTrainer… Le monde est à votre mesure, et que ceux qui ne suivent pas le rythme se laissent gentiment décrocher pour que la mort soit plus douce. Ce que je ne comprends pas chez les innovateurs patentés, c’est cette faculté qu’ils ont à imaginer que la marche à suivre procède naturellement de leur pauvre petite expérience locale qu’ils considèrent nécessairement comme salutaire : un peu d’humilité, la réalité est tellement plus complexe !
    Pour en revenir au contenu, si ça vous intéresse et parce que vous l’accusez à tort de défendre une sorte de retour à la nature, et ce totalement gratuitement, Simondon, l’une de ses principales références donc, a été un très grand philosophe de la technique, presque inconnu en dehors des cercles intellectuels que vous semblez répudier, et à qui il rend sans cesse hommage. Et, manque de bol pour vous, c’était un amoureux de la technique ! Il abhorrait l’horreur techniciste d’un Ellul ou d’un Heidegger, et tenta de réhabiliter une idée de l’Homme comme essentiellement en communion avec ses objets techniques. En cela, de façon tout à fait « primitive », l’homme n’est pas sans la technique, et la technique n’est pas sans l’homme. Simondon est aussi le penseur de l’individuation, en tant que processus constituant d’une subjectivité et de l’inter-subjectivité, du collectif, et se sert de ces concepts pour décrire le mode d’existence concret des objets techniques dans nos sociétés.
    En espérant avoir allumé un réverbère, je retourne faire le petit Prince.

    1. C’est toujours amusant ce genre de commentaire. Un certain monsieur aurait eu la capacité d’ingurgiter digérer et dépasser évidemment les divins
      esprits mentionnés. C’est une gentille blague, et c’est un certain Heidegger
      qui nous le fais bien comprendre, qui disait qu’il fallait déjà passer au moins dix ans sur Aristote avant de passer à … Heidegger. Si on y ajoute ne serait-ce que kant et freud on en prend pour 20 ans de plus. Et vu la taille de l’oeuvre de heidegger c’est vingt ans de plus. Bref Stiegler est
      mort ?? Mr Stiegler est certainement un orateur de talent, mais surement
      pas un philosophe de quoi que ce soit car tout philosophe parlant et faisant
      politique dit et fait des conneries (voir le même heidegger). Stiegler est
      un intellectuel, c’est à dire un supporter d’une idéologie. Et c’est tout.

  2. Bon, je vais me sur-rajouter pacifiquement à la masse de commentaires allant dans le sens de ce cher Bernard, mais on va plutôt axer ça sur ses thèses réelles puisqu’il est naturellement inconcevable de réduire la pensée d’un auteur à une phrase extraite d’une interview : on n’est pas au bac. Il y a plusieurs grandes sources d’inspiration dans ses thèses : c’est un medley entre un néo-kantisme, du Freud, du Canguilhem (pour moi la seule faiblesse réside dans sa conception de la biologie mais c’est un point trop délicat à aborder), une pensée deleuzienne et derridienne réactualisée à l’heure du numérique et des « big-data », dans lesquels il pressent l’affaiblissement progressif de la raison et l’hégémonie du calcul, et surtout, point central, articulée autour d’un héritage simondonien. Vous ne pouvez pas le comprendre si vous n’avez pas ingurgité tout ça, et c’est le minimum syndical… Ce mec a bossé comme un fou, il a fait de la prison et il en a chié : ce qui me plaît chez lui c’est qu’il est fondamentalement humain, bien plus que toutes les machines qui finiront tôt ou tard par nous remplacer à en croire le MIT ou Oxford. Vous ne pouvez pas nier, en tant qu’entrepreneur, que le travail est en train de disparaître et que nous laissons sciemment faire, que vos AirBnB, vos Uber, vos Google Cars j’en passe et des meilleurs, si « glorieux » soient-ils du point de vue de la création de « lien social », ne font qu’accélérer cette marche inéluctable. Alors vous pourrez défendre le fait qu’en effet, on peut faire des rencontres plus facilement, que le confort augmente en conséquence pour les utilisateurs, et que tout va vers le mieux, sans aucun doute. Ce serait oublier les milliers – millions de gens laissés sur le carreau parce que ce mode de vie salutaire et disruptif ne leur a pas laisser l’occasion d’attraper le wagon en marche, tout simplement : suicide des paysans indiens, des étudiants japonais, des américains et des européens, malaise toujours plus conséquent des travailleurs du monde entier à qui on retire progressivement un savoir-faire et donc un savoir-être, repli sur soi et nationalisme, pop-religion avec le bouddhisme-zen, volonté exprimée d’un retour à la terre, perte de reconnaissance de l’appartenance à un cosmos, explosion des séjours en retraite spirituelle, perte massive de sens et désintérêt, nihilisme et athéisme primaire. Enfin la liste est longue. Je n’accuse pas spécialement les entrepreneurs, je ne leur ferais pas cet honneur, mais vous participez d’un mouvement qui vous dépasse, comme une lame de fond et qui porte un nom, avancé par Nietzsche : la mort de Dieu. Vous défendez le vôtre, le Dieu Innovation : force est de constater qu’il ne fait pas que des heureux, et que laisser entendre le contraire relève de la psychiatrie. A côté de ça, l’innovation en tant que telle n’est pas mauvaise en soi, évidemment ! Et Stiegler le défend bien mieux que vous… Il en appelle à une pharmacologie positive, comme une technique repensée pour le soin de l’âme que suppose à spectre plus large une « anthropologie négative », c’est-à-dire un revirement complet de l’horizon auquel nous conduit le mythe du progrès violent et barbare parce qu’en opposition avec notre nature intime et désirante (c’est là qu’apparaît Freud). En fait, je suis curieux de savoir comment et pourquoi vous vous défendez l’innovation… Vous êtes un nanti je suppose, avec votre joli visage dodu et votre costume, vos Google Glass, votre agenda de poche et votre CardioTrainer… Le monde est à votre mesure, et que ceux qui ne suivent pas le rythme se laisse gentiment décrocher pour que la mort soit plus douce. Ce que je ne comprends pas chez les innovateurs patentés, c’est cette faculté qu’ils ont à imaginer que le bonheur des autres procède naturellement de leur pauvre petite expérience locale qu’ils considèrent nécessairement comme salutaire : un peu d’humilité, la réalité est tellement plus complexe !
    Pour en revenir au contenu, si ça vous intéresse et parce que vous l’accusez à tort de défendre une sorte de retour à la nature, et ce totalement gratuitement, Simondon, l’une de ses principales références donc, a été un très grand philosophe de la technique, presque inconnu en dehors des cercles intellectuels que vous semblez répudier, et à qui il rend sans cesse hommage. Et, manque de bol pour vous, c’était un amoureux de la technique ! Il abhorrait l’horreur techniciste d’un Ellul ou d’un Heidegger, et tenta de réhabiliter une idée de l’Homme comme essentiellement en communion avec ses objets techniques. En cela, de façon tout à fait « primitive », l’homme n’est pas sans la technique, et la technique n’est pas sans l’homme. Simondon est aussi le penseur de l’individuation, en tant que processus constituant d’une subjectivité et de l’inter-subjectivité, du collectif, et se sert de ces concepts pour décrire le mode d’existence concret des objets techniques dans nos sociétés.
    En espérant avoir allumé un réverbère, je retourne faire le petit Prince.

  3. Monsieur, je ne suis pas ici pour donner tort ou raison à Bernard Stiegler, mais bien pour déplorer la tournure de votre article, caricaturale et partisane, où chacun de vos arguments (qui ne sont pas des arguments) ne sert qu’à discréditer là où le désaccord devrait engager le débat. Bernard Stiegler dit très certainement des conneries (qui n’en dit pas ?), mais il ne dit surement pas que ça. Vous lisant, je ne peux que m’interroger sur le temps que vous aurez bien voulu consacrer à ses travaux (et tous ceux des différentes équipes de chercheurs avec lesquelles il travaille ou se trouve en partenariat), traitant à juste titre du monde du travail d’aujourd’hui, des formidables potentialités offertes par les nouvelles technologies, de l’énergie dont la jeunesse fait preuve pour innover et entreprendre dans cet environnement technologique qui est le sien, pour chercher le second souffle (ou un tout autre souffle) dans ce capitalisme postmoderne devenu asthmatique. B. Stiegler ne m’apparaît pas comme un être inscrit dans la crainte (ou la diabolisation) de l’innovation et de l’entreprenariat, mais bien dans une démarche de réflexion sur de possibles nouvelles façons de les penser. D’accord ou pas d’accord avec sa démarche et les arguments qui la motive, ce doit être un débat, pas un lynchage en ligne prenant semble t-il sa source bien davantage dans la blessure narcissique (et les états d’âme de cette dernière) que dans la réflexivité. Je déplore tout autant l’article de Stéphane VIAL (dont j’ai lu la thèse et suit les parutions avec grand intérêt), article dont vous nous fournissez le lien comme s’il s’agissait de signaler que vous n’êtes pas tout seul à jeter des pierres sur un homme « mort » (pour reprendre le mot employé par S. Vial avec cynisme et condescendance), article lui aussi indigne d’un penseur critique œuvrant au sein de la communauté philosophique. Le nombre de jeteurs d’opprobre ne rend pas leur acte plus fort, ni plus légitime, ni plus digne, face à la personne à « descendre ». Qu’il s’agisse ici de votre article ou de celui de S. Vial, je vous dirais bien ces mots : « Il est temps d’en finir avec les états d’âme et de se remettre à penser » (Zut, je crois qu’elle est de Bernard Stiegler…).

    1. Merci de votre commentaire. Stiegler, pas dans la crainte? Je suis excessif? Parlant de quelqu’un qui compare les entrepreneurs à Daech, ça ne manque pas de sel… Quant à parler de capitalisme asmathique, je ne sais pas où vous vivez… Bonne journée.

  4. Et si, plutôt que ferrailler bêtement sur un article que vous avez lu en diagonale, sans outils, et donc très mal compris, vous commenciez à lire Stiegler en profondeur ? Avant de dire n’importe quoi — mais alors vraiment n’importe quoi ! — pour vendre votre sauce. (Je ne peux que vous recommander, par exemple, « La Société Automatique », « Dans la Disruption » (vous y lirez notamment la nuance capitale qu’il marque entre « rupture » et « disruption », ça répondra à votre question…), voire un petit livre plus accessible qui s’intitule « L’Emploi est mort, Vive le Travail ». C’est sûr, prendre connaissance de la pensée d’un philosophe de ce calibre-là prend un temps certain, je le concède. Faut avoir le temps (et surtout l’envie). Mais je sens malgré tout, et au vu de ce que les commentateurs ci-dessus vous ont mis dans les dents (et auxquels vous vous êtes bien gardés de répondre sans faire le pitre) que vous allez de ce pas, et comme vous ne semblez pas totalement stupide, si ce n’est pas déjà en cours, vous intéresser à cette pensée essentielle et salutaire — enfin ça dépend pour qui… Même si dans le fond elle ne sert pas du tout votre propos, votre vision générale ni vos fantasmes entrepreneuriaux, c’est la moindre des choses pour comprendre les réelles forces en présence et éviter de dire des sottises pour créer du trafic. Voyez comme ça vous retombe dessus. Libre à vous finalement. Cordialement.

      1. Mon pauvre monsieur… vous êtes totalement navrant, que vous puissiez en ces termes, juger et publier me laisse pantois, je comprend mieux les remarques sur le niveau affligeant de certains professeurs universitaire.

      2. Bonjour,

        çà me rappelle des personnes qui refusaient de lire ou comprendre le système de pensée de Heidegger car il était nazi. Je m’efforce de faire la distinction entre qui et quoi quand je lis des idées. Quand quelqu’un (Qui) nous refroidit avec certains propos ou des choix personnels odieux, il peut être difficile d’aller plus avant dans sa pensée (Quoi). Il faut essayer de ne pas juger, d’être factuel sur les concepts. C’est sûr qu’en 2ème analyse il peut être nécessaire de faire la généalogie des bonhommes….

        Personnellement je n’aime ni le Qui, ni les fondements de la pensée du Quoi de ce monsieur Siegler. J’ai essayé de lire, et non, il m’agace poru le moment. Trop revendicatif pour moi, un genre de philosophe journaliste comme Onfray, nostalgique et peu enclin au changement. Pardon pour les fans, je suis un pauvre type peu diplômé et n’ayant pas fait mes preuves dans les cercles autorisés, mais il y a des tribunes comme celle ci alors je déverse ma logorrhée 🙂

        Sinon pour moi il est sûr que la destruction créatrice de Schumpeter, le libéralisme, la démographie, les religions et la peur de perdre les identités culturelles seront des sujets à traiter de manière internationale. Et pour le moment malgré la bienveillance des Etats, la compétition internationale est là et tous le monde ne peut pas suivre. La nature est injuste, il faut l’apprendre jeune pour l’accepter. C’est ce qui tue notre société, le mensonge, ne pas accepter la réalité telle qu’elle est. La faute au média complices du marché, surement, mais aussi aux réligions, à l’école, que sais-je.
        M’enfin, je vais aller schtroumpfer, épuisé d’avoir tapé autant de lignes sacrebleu.

  5. Bonjour,

    Les partisans de M Stiegler n’argumentent pas beaucoup plus loin que « M Stiegler est un grand connaisseur du sujet numérique » et c’est bien dommage !
    En effet, l’interview est très nostalgique (et le parallèle barbare = Daesh inexcusable).
    Mais n’avez-vous pas des citations ou, mieux,des liens vers des arguments plus riches que ceux de l’interview ?
    En plus, c’est une interview à Libération : c’est forcément orienté (« anglé » en langage journalistique) pour son lectorat ….(ne jamais oublier le filtre des journalistes ou medias !).
    Merci d’avance
    Bigben

    1. Il y a certainement le filtre journalistique qui déforme volontiers les propos, mais en l’occurrence l’article résume assez bien la pensée du maître, qui en outre est très représentative de la pensée de la cléricature intellectuelle française. Je ne sache pas par ailleurs que Stiegler ait protesté contre la déformation de ses propos par Libé…

  6. Stiegler est un guignol entretenu par l’Etat. Vous êtes bien aimable de perdre votre temps à lui répondre.

  7. Mr stiegler a arrêté l’école en seconde …. Au mieux c’est un intellectuel, c’est à dire quelqu’un qui supporte une idéologie dans le but de prendre
    et/ou garder un/des pouvoirs. Son poste montre qu’il est un partisan de l’état
    dir providence (pas pour tout le monde …). Son texte sur libé est un bel exercice de rhétorique, c’est à dire un exercice d’avocat au service d’une cause (comme c’est surprenant ….). Il y a bcp de bêtises philosophiquement parlant dans son texte. Comme dans les écrits de ce monsieur que j’ai lu (honte à moi). De manière flagrante il ne fait pas la différence entre société moderne (mettons depuis la révolution industrielle) et communauté.
    Quand aux barbares (les jeunes hein !?!?!) on lira de préference l’intelligent « Les barbares » de barrico. Le plus surprenant finalement c’est que notre hôte ait pris du temps pour parler de ce triste sir. Un moment d’énervement qu’il vaut mieux oublier …

    1. Merci de votre message. Il ne faut pas avoir honte de lire les écrits de Stiegler. J’ai effectivement hésité à consacrer deux heures à rédiger mon texte – je me suis dit « à quoi bon? » mais Stiegler n’est pas n’importe qui, et son propos reflète une opinion répandue en France sur la crainte de l’innovation. Il m’a donc semblé important de répondre. Et puis ça suscite le débat, ce qui est le plus important. Quant à Barrico, je ne l’ai pas lu, j’avais l’impression qu’il était sur la même ligne, en moins agressif, plus nostalgique. Vous me dites que ça vaut quand-même la peine de lire?
      Merci

      1. Stiegler participe de pouvoirs puissants qui dirigent la société. Son rôle
        au service de ces pouvoirs est de générer de l’angoisse face à tout
        concurrent de ces pouvoirs. L’angoisse comme toute passion triste
        (lisons Spinoza …) vise à affaiblir le quidam en détournant la plus grande
        partie de sa puissance (en actes) de ses désirs profonds. Ainsi rien ne
        change. La dépression chronique des français tient à un projet politique clairement tyrannique. Mais le faible niveau de pensée en france (qui lit de la philo? personne puisqu’on serine que cela ne sert à rien) empêche le quidam de comprendre de quoi on lui parle. Car la tyrannie se repère aisément à la tristesse du peuple. Ce qui ne veut pas dire que les concurrents ne font (feront) pas la même chose. Mais ce triste sir lui-même, ancien truand, ne sait peut-être pas ce qu’il est en train de faire. Pour Barrico, son essai les barbares est un bijou d’intelligence; le reste de sa littérature est sans intérêt. Il s’est trompé de vocation ou bien n’a jamais voulu prendre le risque d’être obligé de faire le genre de travail de stiegler.

  8. J’ai l’impression que cette réponse à B. Striegler passe à côté de l’essentiel de son propos. Comme je ne suis pas un grand penseur (quoique) et que je n’utilise pas les beaux mots propres à cette frange de la population, je m’exprimerai de manière plus simple : selon moi, B.S. dit simplement que le monde avance trop vite et n’a pas le temps de se stabiliser, de prendre son souffle, avant d’avancer vers une nouvelle étape. Et qui pourrait dire le contraire ? Nous sommes constamment bouleversés par l’innovation. Pas une semaine sans qu’un Occulus Rift ne pointe son oeil vers nous. Pas étonnant que fleurissent les cures de décrochage au numérique !

    Je trouve cette réponse plutôt faible (si je puis me permettre) car, à l’instar d’une partie de la population journalistique actuelle, elle attaque la forme et non le fond. « l’auteur est philosophe, ce qui en France équivaut à un passeport pour imposer sa pensée au monde », quelle entrée en matière, quelle belle manière de prendre à partie ceux qui, comme vous, exècrent les philosophes, les considérant comme siégeant en haut de leur tour d’ivoire. Et puis ensuite vous en remettez une couche sur le mot « barbare », la forme avant le fond, une fois encore.

    Par ailleurs, nous n’avons pas dû lire la même interview car Stiegler ne mentionne jamais l’incubateur Koudetat…

    Sur le reste, vous avez votre avis, je ne le partage pas spécialement sans être complètement contre. Je trouve simplement que vous n’attaquez le bon propos de B.S.

    Bien à vous,

    Florian

    1. Merci de votre message. je crois que Stiegler dit bien plus que simplement « Tout va trop vite ». Il dit que les disrupteurs détruisent notre civilisation, l’état de droit et le lien social. Ce n’est pas rien quand-même. Je pense que mon article discute le fond, en évoquant plusieurs de ses propos (je n’ai pas tout passé en revue) et expliquant pourquoi je suis en désaccord.
      Sur Koudetat vous avez raison, il mentionne The Family, mais qui fait partie du même groupe. Je vais corriger, merci de votre vigilance.

  9. Il est difficile de réagir sereinement face à deux visions aussi savantes et tranchantes. Je fais partie des faiseurs et non des penseurs.
    En tant qu’entrepreneur, je participe à la création d’un monde nouveau, meilleur j’espère, au milieu d’une foule d’autres personnes toutes plus entreprenantes, imaginatives, positives les unes que les autres… Je lis ainsi souvent les chroniques de Philippe Silberzahn avec gourmandise…
    Mais en tant que bénévole aux Restaurants du coeur, je vois arriver la foule des déclassés et des migrants qui sont les victimes directes ou indirectes de ce même mouvement. Et je vois la colère, ou pire le désespoir, devant l’incompréhension de ce monde nouveau, de ses régles induites et des savoir-faire non maîtrisés, qui monte. Je crois comprendre ce que veut dire Bernard Stiegler au delà de l’analogie choquante…
    J’ai écrit il y a quelques jours une très modeste contribution sur LinkedIn (http://tinyurl.com/jnhdwzp) qui me semble s’inscrire dans cette interrogation duale…

    1. Merci Rémi. Personne ne reste insensible au malheur des déclassés et des migrants. Ce que je conteste c’est que l’exclusion soit causée par ces disruptions. Au contraire, l’exclusion est causée par un système qui s’est voulu protecteur et social et qui étouffe toute croissance, ce qui génère de l’exclusion. Les « disrupteurs » sont, eux, créateurs de future richesse et emploi, et sont porteurs de solutions à l’exclusion. S’il y a des migrants (Syrie mise à part), c’est parce qu’ils n’ont pas de croissance dans leur pays, et s’ils n’ont pas de croissance dans leur pays, c’est qu’ils n’ont pas assez d’entrepreneuriat au sens large, ou que celui-ci y est freiné par des raisonnements que je dénonce.

      1. Ce que je mets en avant Philippe, ce n’est pas la pauvreté en tant que telle, d’ordre économique, c’est la colère et le désespoir, d’ordre psychologique, d’une frange de plus en plus importante de la population, soit déjà paupérisee, soit craignant de l’être, dans un monde dont elle ne comprend plus les règles.
        Même si leur diagnostic est erroné (?), cette colère devient nihiliste et nous entraînera dans son déclassement, juste par vengeance, si des solutions incluantes et massives ne sont pas mises en œuvre rapidement. Le Brexit est pour moi symbolique d’un tel coup de semonce.

      2. Que cette colère existe c’est indéniable. Mon propos est d’une part, que la pauvreté ne vient pas de l’action des « barbares » disrupteurs, mais d’un système français créateur d’exclusion, à bout de souffle, et d’autre part que les « barbares » sont une solution à ce problème (mais pas la seule). Quant au Brexit, il servira pour les siècles à venir d’explication à à peu près tout ce qu’on voudra, donc méfiance…

  10. Je partage une chose dans ce qui est écrit ici : la comparaison faite par Stiegler entre Daech et les entrepreneurs du numérique est indécente.
    Elle ne date pas d’hier, puisqu’une semaine après les attentats de novembre, on pouvait lire (réponse à la 2e Q° notamment) : http://www.lemonde.fr/emploi/article/2015/11/19/bernard-stiegler-ce-n-est-qu-en-projetant-un-veritable-avenir-qu-on-pourra-combattre-daech_4813660_1698637.html
    Cette comparaison est chez lui répétée et structurante : au sens où elle structure sa notion de « disruption » – et, de fait, la décrédibilise (en tout cas telle qu’il l’utilise et l’étaye). Elle n’aide à comprendre ni le numérique, ni encore moins Daech.

  11. Stiegler est probablement le plus grand philosophe de la technique actuellement et vous vous demandez s’il a assez lu les grecs ? Il vient de publier un livre sur la disruption et vous osez insinuer qu’il n’a pas lu Schumpeter qui est au programme de 1ere ES ?? Votre ton polémique ne discrédite que vous.
    Je ne reviendrai pas sur les rares éléments de réponse que vous apportez. Ils sont assez classiques de ceux dont le métier est précisément de vendre leur « expertise » en innovation et des suiveurs béats qui pensent sincèrement que « tout pas en avant est un pas dans la bonne direction ».
    Par contre, je vous recommanderais volontiers de lire sérieusement Stiegler. Ce serait le seul moyen de comprendre pourquoi sa Pharmacologie est le synonyme (pompeux il est vrai) d’une véritable stratégie en innovation.
    Amicalement,

  12. Mr Silberzahn,
    j’ai lu l’article de B Stiegler après le votre et vous lui prêtez un certain nombre de propos que je n’ai pas retrouvé. Pourquoi déformez-vous ses propos et en changez-vous le sens ? s’agit-il de votre part d’une stratégie d’audience que de citer un penseur en vogue pour attirer sur votre blog des lecteurs? quelle est votre motivation ?

    Personnellement, j’ai cru en voyant que vous citez Stiegler que vous alliez donner des éléments de profondeur à votre goût pour l’innovation donc j’ai lu votre article. Je suis finalement très déçu de voir votre mépris pour l’histoire et les sciences sociales. Quel dommage !

    1. Ah c’est parce que je manque de sang froid. Il suffit que quelqu’un compare des entrepreneurs à Daech pour que je m’énerve. On est peu de choses, n’est-ce pas? Alors que cette comparaison est faite par un clerc, donc il a le droit! Mais je me soigne rassurez-vous. Avec le temps je m’habituerai à vivre dans un pays qui traite ainsi ses entrepreneurs et j’arriverai à ne plus mettre en cause un « penseur en vogue » comme vous dites. Avec de tels penseurs en vogue, nous sommes bien partis.

  13. On peut récuser la validité du lien de cause à effet mais je ne vois pas où intervient la technique de l’amalgame qui viserait à tromper insidieusement en « disant sans dire ». En l’occurrence, la chose (le lien de cause à effet) est bel et bien dite, elle est même écrite noir sur blanc (« une barbarie technologique qui nourrit la barbarie terroriste ») et sans doute pleinement assumée par l’auteur.

    1. « Pendant la terrible année 2015, nous avons rencontré la barbarie de Daech [acronyme arabe de l’EI, ndlr]. A côté de cette barbarie horrifique, il existe une autre forme de barbarie, plus «soft», une barbarie technologique qui nourrit la barbarie terroriste. »

      1. Si je puis me permettre, ce n’est pas une comparaison mais un lien de cause à effet dont je concède qu’il puisse paraître choquant ainsi résumé. A vrai dire, en première lecture, j’avais plutôt vu l’opposition entre une forme de barbarie visible/médiatisée et une forme invisible et d’autant plus « efficace » qu’elle est diffuse et pervasive.

      2. Oui c’est la technique même de l’amalgame. Le dire sans le dire tout en le disant. Quand elle est pratiquée par des extrémistes elle suscite des hauts cris. Quand c’est un clerc c’est différent bien-sûr.

  14. Reprocher à Stiegler de ne pas avoir lu les Grecs, cela a quelque chose de vraiment comique… Je crois que vous-même, vous devriez faire l’effort de lire Stiegler, histoire de ne pas dévoyer sa pensée en n’en prenant (et qui plus est, dans un seul entretien publié par Libé) que ce qui arrange votre argumentation « d’opposant a priori ». Votre culte de l’Entrepreneur (à vous lire, il est clair que la majuscule s’impose) n’a visiblement d’égal que votre haine pour ceux que vous appelez vous-même, avec un mépris qui s’entend à chaque ligne, les intellectuels (de gauche, s’entend, evidemment). Si vous les considérez comme des adversaires et si vous entendez les combattre, ne les sous-estimez pas et donnez-vous au moins la peine de les connaître. Dans le cas de Stiegler, vous seriez surpris de voir, en le lisant, à quel point vous vous méprenez…

    1. Merci de votre message. Oui bien-sûr j’exagère. J’ai du mal comprendre la pensée du maître. Que voulez-vous, quelqu’un qui compare les entrepreneurs à Daech, oui c’est sûr, c’est moi qui exagère et j’ai raté la subtilité du propos, certainement. Quand aux intellectuels de gauche, c’est plus facile de s’attaquer à eux car il n’y a pas d’intellectuels à droite (poke)

  15. Je suis tout à fait d’accord avec Philippe, et pas du tout avec Bernard Stiegler.
    En effet, le monde « technologique » et « digital » évolue très très vite. Les entreprises (classiques) suivent une « croissance adaptative » plus lente, car elles sont un monde sociétal, plus lent, souvent politique.
    Lire à ce sujet mon Post sur LinkedIn, où je fais le lien entre Disruption et Darwinisme, c’est à dire la « prime à l’adaptabilité » … Nous en sommes en pleine effectuation.

      1. Mon Post sur Darwinisme « 2.0 » et Disruption est sur mon profil LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/ericlg

  16. On ne peut pas nier que la « nouvelle économie » est à ce jour destructrice et non pas créatrice de lien social (solidarité ou cohésion si le mot social dérange): faible productivité globale des facteurs, stagnation séculaire, une économie avec 0 inflation et 0 croissance malgré une politique monétaire expansionniste, sans parler de la thèse de plus en plus affirmée de la « fin du travail »…. ce n’est pas parce que tout le monde utilise google facebook et un iphone que ce modèle économique est créateur de lien social. Grosso modo, la thèse de l’accélération est pertinente pour interpréter ce manque de stabilité, l’innovation dont vous nous parlez est régulièrement dépassée en quelques mois, elle ne créée rien de stable, elle détruit, mais surtout, elle s’autodétruit avant que la société n’en tire profit. Vous savez la société ce vieux mot qui signifie que les individus peuvent aussi vouloir construire un environnement qui leur soit favorable et durable.

    1. Merci de votre message. Je sais aussi bien que vous ce qu’est la société et mon propos précisément est que ce qui se fait en ce moment est créateur de société. Comment peut-on dire que la société ne tire pas profit des ruptures en cours quand on voit les progrès de la science, entre autres? Ce pessimisme nous coûte cher…

  17. Ainsi les gens désespérés, aujourd’hui, seraient issus de « la sclérose du vieux système social français pensé par Vichy et repris avec allégresse par le conseil de la résistance, totem absolu de la pensée intellectuelle française ».
    M. Silberzhan, comment pouvez-vous dire une chose aussi ignoble ? Comment pouvez-vous confondre ces deux pages de l’histoire que tout oppose ? Rapprocher un Ambroise Crozat, et son système de santé qui permet à chacun de « contribuer selon ses moyens et de recevoir selon ses besoins », d’un René Bousquet de sinistre mémoire vous disqualifie de fait.
    Il est temps que vous preniez des vacances, M. Silberzahn, et nous lâcher un peu avec votre vision idyllique d’un monde où plus personne ne paierait de charges pour préserver le bien commun (ces lourdes chaînes que la nouvelle idole entrepreneuriat briserait avec vigueur : voir votre affiche rouge dans une autre version)

    1. Merci de votre message. Désolé de vous avoir choqué, là n’était pas l’intention. Les origines du modèle social français d’après-guerre sont connues, je n’apporte en cela aucun élément nouveau. Ce système a des avantages, bien-sûr, et sans doute les intentions de ses créateurs étaient-elles nobles, mais cela n’enlève rien à ses origines. Le vrai débat n’est pas là. Il est dans le coût que sa préservation à tout prix représente pour ceux, de plus en plus nombreux, qui n’en bénéficient pas, et pour l’avenir de notre société.

  18. Un peu injuste tout de même. Je cite un § de l’ITW de Stiegler : « Il ne s’agit ni de ralentir, ni de sortir de la société industrielle, ni d’arrêter la disruption, mais de transformer la vitesse en temps gagné pour penser et de mettre l’automatisation au service de la désautomatisation qu’est la pensée. (…) Il faut faire de ce qui permet Uber une nouvelle possibilité, sur un registre tout différent. Cela suppose une «bonne disruption» : tout remettre en question, non pas en court-circuitant la délibération mais, au contraire, en en faisant l’objet même de la délibération, pour changer les méthodes dans tous les secteurs – enseignement, travail, urbanisme, recherche, citoyenneté… »

    Autrement dit, Stiegler ne se désespère pas de voir le monde changer, il se demande si les entrepreneurs disruptifs suffisent à construire une société. Et l’on n’a pas besoin d’être un vieux marxiste pour répondre « sans doute pas ».

    1. Merci Daniel. Certes… mais il s’agit je pense d’une précaution rhétorique. Tout dans son discours défend l’idée de contrôler a priori l’innovation pour décider quelle est la bonne. Ce qui est un non sens.

    2. Il y a deux problèmes :

      1) « Chacun son boulot » : pendant que les entrepreneurs créent de nouveaux modèles d’affaires, c’est à la société tout entière d’imaginer de nouvelles institutions… et aux pouvoirs publics d’orchestrer cet effort d’imagination radicale. Or, pour l’instant, les pouvoirs publics sont plus occupés (en vain) à préserver l’existant qu’à imaginer le nouveau – et les prises de position de Stiegler ne font rien pour arranger les choses.

      2) Les critiques de ce genre passent sous silence (parce que ça ne rentre pas dans le récit) tous ceux qui, en plus de faire, publient sur ce qu’ils font et appellent régulièrement les pouvoirs publics à participer à ce chantier d’imagination radicale. Ils sont très nombreux et TheFamily en fait partie => https://salon.thefamily.co/thefamily-papers-6bf2f84e0bcd

      1. C’est quoi exactement le « nouveau modèle d’affaire » à part « s’en mettre plein les chouilles le plus vite possible en levant du blé, en rachetant ses concurrents et en violant les lois jusqu’à ce que les lois s’adaptent à notre business » ?

        Car bon, jveux pas dire, mais ça, c’est pas particulièrement nouveau.

        Enfin, continuez à disrupter en vous convaincant de manière si pratique que « si l’on nous critique, c’est que l’on ne nous comprend pas ! ».

    3. Merci, je trouve aussi injuste cet article car quand on connait un peu la pensée de Stiegler, il faut comprendre qu’il voit la « disruption » sous un angle social et économique, pas uniquement technologique. Il pousse la réflexion sur le sujet. Il est philosophe et c’est normal, voire nécessaire, qu’il ait une pensée critique.
      Stiegler connait le potentiel d’internet et l’admire, il y voit une offre des possibilités illimitées pour l’être humain mais il exprime sa préoccupation face aux nouveaux modèles économiques qui dénaturent le potentiel démocratique de cet outil et à sa monopolisation.

  19. Cet article montre a quel point notre nouveau « réel » ne s’accorde plus à des concepts sociétaux Marxistes (et leur variations ) en place depuis le siècle dernier. C’est cela la vrai disruption. Il me semble que le concept d’intelligence se définit par une préhension correcte du réel. Ce « réel » me semble fort éloigné de la définition qu’en fait M. Stiegler. « Ce qui nous arrive de la Silicon Valley vient liquider l’état de droit en tant qu’état délibératif fondé sur des légitimités réfléchies ». Le problème c’est qu’il y a des élites dans l’intelligentsia qui pensent comprendre ce que ça veut bien vouloir dire. Ou l’inverse, en fait.. Mais c’est pareil. Ils sont les sachants. Dans le monde disruptif, nous utiliserons un anglicisme pour le définir « Vaporware »..

    1. je dois admettre que j’ai commencé a comprence ce monde, le monde don Hernando De Soto parle, en vivant avec ma femme un mois dans son kampung indonésien, voyant l’économie réelle tourner…

      En afrique aussi on devrait le voir.

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