Quand McDonald’s s’emmêle les modèles d’affaire

Il existe une règle cardinale de l’innovation et du management en général, proposée par Clayton Christensen: on ne mélange jamais deux modèles d’affaires dans une même organisation. Cette règle n’a semble-t-il pas été suivie par McDonald’s et les conséquences ne se sont pas fait attendre.

McDonald’s est historiquement l’archétype de l’innovation de type fast food. Son modèle d’affaire s’est déployé depuis de nombreuses années autour du fameux QVC – Qualité, valeur, propreté (cleanliness). Quand on prononce le mot ‘qualité’ auprès d’une audience française, on est moqué, mais ici ce mot se réfère plutôt à l’idée de cohérence, de vitesse et d’hygiène. En allant dans un McDonald’s, toute idée de surprise disparaît, vous obtenez toujours la même chose, l’offre est standardisée et donc tout est plus simple et plus rapide. Le modèle d’affaire historique de McDonald’s consiste donc à offrir une gamme limitée de produits parfaitement standardisés, dont l’hygiène est garantie, et servis très rapidement. Les ressources, processus et valeurs (RPV) sont créés et organisés pour servir cette proposition de valeur.

A partir des années 80-90, McDonald’s a commencé à subir les attaques des diététiciens qui lui reprochaient de fournir une alimentation déséquilibrée, trop riche en sucres et en matières grasses. McDonald’s est également devenu une cible facile pour les pourfendeurs de la ‘malbouffe’.

Pour répondre à ces attaques, McDonald’s a élargi sa gamme et a notamment introduit des salades et des fruits. L’ambition était alors de se débarrasser de cette image de restaurant bas de gamme offrant de la nourriture industrielle contraire aux recommandations diététiques. Dit autrement, McDonald’s a commencé à monter en gamme.

et c'est bien le problème... (image (c) McDonald's)
et c’est bien le problème… (image (c) McDonald’s)

Cette montée en gamme s’est semble-t-il accélérée récemment. Par exemple, le restaurant de Limonest, fréquenté par l’auteur de ces lignes, a créé un bar à salades: alors qu’auparavant les salades étaient préparées et mises en boîtes à l’avance puis données au client lors de sa commande, celles-ci sont désormais préparées à la demande, sous ses yeux. Une impression réelle d’amélioration de qualité se dégage désormais du processus. Cette impressions est renforcée par l’élargissement de la gamme: on a maintenant le choix entre 18 types de cafés et 28 types de glaces.

Nouvelle évolution récente: le restaurant livre désormais à la table, alors qu’historiquement on se servait toujours au comptoir et, une fois servi, on prenait ses plateaux et on allait s’assoir.

Le problème est que cette augmentation de la qualité se fait au prix de la vitesse. Alors qu’avant on avait sa salade immédiatement, il faut désormais attendre. Il faut également attendre qu’on vous apporte votre commande. L’augmentation de la qualité et de la largeur de gamme entraîne un surcroît de travail pour l’équipe, qui passe d’une série de tâches hautement standardisées sur quelques produits avec un travail fortement divisé, à des tâches parcellaires. Au lieu de rester dans la cuisine, l’équipe doit aller livrer dans la salle. L’ensemble est moins efficace, et donc plus lent. L’idée historique d’un équipier capable de faire aussi bien un hamburger qu’aller nettoyer une table lors d’un temps mort fonctionnait lorsque le nombre de tâches était limité et l’ensemble standardisé; elle devient contre-productive lorsque la complexité des tâches s’accroit. Ma dernière visite a Limonest a ainsi été catastrophique: 25 minutes d’attente pour une commande relativement banale.

On le voit, l’amélioration d’un paramètre du modèle d’affaire, ici la qualité des produits et l’élargissement du choix, entraîne une dégradation d’un autre paramètre essentiel de ce modèle: la vitesse. Au passage elle entraîne également la dégradation d’un autre paramètre, la propreté: quand la chaîne opérationnelle s’effondre, on n’a encore moins le temps de nettoyer la salle et son sol gluant…

McDonald’s essaie ainsi de promouvoir un modèle (un restaurant de qualité) tout en essayant de préserver son ancien modèle (un fast food). Résultat: on est coincé entre les deux, on n’a ni un restaurant de qualité (on en est très loin), et on n’a plus de vitesse et de propreté. Il s’agit d’une situation très dangereuse, parce que les clients historiques, qui venaient pour la QVC-vitesse, vont cesser de venir, et qu’il n’y a pas de garantie que ceux qui sont attirés par la qualité considéreront McDonald’s dans leur choix, du moins pour l’instant, car on remet en question des dizaines d’années de construction de marque.

L’exemple de McDonald’s illustre la difficulté de faire évoluer un modèle d’affaire. Il y a dès lors deux options: soit on renforce ce modèle en ignorant les critiques (qui d’ailleurs ne mangent jamais chez McDonald’s), soit on en tient compte et on monte en gamme. Pour la montée en gamme, il y a là aussi deux options: soit on considère que l’ancien modèle (fast food) va mourir, auquel cas on peut faire évoluer le modèle au sein de l’ancien. Mais on l’a vu, ce mélange est très risqué: les compromis entre le modèle actuel et le futur modèle font qu’on va avoir une période de confusion qui peut amener à une forte perte de clientèle historique sans gain sur la clientèle future, car celle-ci ‘attend’ que le nouveau modèle soit en place (plus précisément, elle ne se sent pas concernée). Soit on considère que l’ancien modèle va perdurer, et il vaut mieux créer une marque différente, ce que d’ailleurs McDonald’s a fait avec McCafé.

En conclusion, 1) Ne pas avoir deux modèles d’affaire au sein d’une même marque, et 2) Jouer avec son modèle d’affaire, c’est dangereux.

9 réflexions au sujet de « Quand McDonald’s s’emmêle les modèles d’affaire »

  1. Bonjour,
    Merci, cela fait plusieurs semaine que je cherche un article sur le nouveau mode de fonctionnement de macdonald (Cordelier et hotel de ville).

    Je pense que le système a été testé avant dans un cadre complètement différent avec des équipes brieffées, le modèle devait dès lors tourner très bien, et était (à mon avis) aussi efficace que l’ancien tout en permettant un service orienté restauration traditionnelle.
    Or, ce qu’ils n’ont pas pris en compte, c’est le turnover important que subit aujourd’hui Mcdo.
    J’ai pu constater une manager formé quelqu’un qui était complètement dépassé par l’ensemble des taches à produire. Alors que dans l’ancien modèle les taches étaient plus restreintes.

    Je pense cette expérience met en évidence l’importance de tester ‘en live’ des modifications aussi importante de son business, et sur une durée plus longue.

    Je ne sais pas si macdonald va modifier son business dans tous ses restaurants et j’aimerais bien savoir, car ils doivent se rendre compte que ça ne fonctionne pas du tout.

    1. Point intéressant la différence entre le test et le magasin « lambada »… mais quoiqu’il en soit, il restera toujours le conflit en un modèle bas de gamme et un modèle plus sophistiqué. Les deux sont incompatibles en termes de ressources, processus et valeurs.

  2. La question pourrait aussi être « Pourquoi avoir à la fois voulu améliorer la qualité des aliments et élargi autant la gamme? ».

    En évoluant avec son temps, McDonalds pouvait garder son atout rapidité (fast food), tout en offrant une nourriture plus saine que celle offerte par le passé, répondant ainsi à une nouvelle volonté « santé » des consommateurs.

    Il existe il me semble, un point que personne ne couvre encore de façon optimale dans le marché: une nourriture pas trop mauvaise pour la santé, pas trop chère, délivrée rapidement et sortant de l’ordinaire type « sandwich ».

    L’erreur de McDonalds dans votre exemple est, il me semble, surtout de s’éloigner de sa force, la standardisation des processus (une gamme de produits standards pour tous, sans trop de variantes et remise rapidement au client).

    1. @Warren Smith
      Pour les sandwiches : Subway existe déjà avec préparation à la demande.
      J’ai d’ailleurs l’impression que Mc Do a voulu copier le principe avec son bar à salades.

  3. Bonjour Philippe,

    Je ne suis pas d’accord avec ton analyse. A mon sens, McDonald’s fonctionne comme une startup, en utilisant ses ressources actuelles pour TESTER rapidement de nouveaux business, et valider la stratégie à suivre.

    Voici mon avis plus détaillé :
    https://www.linkedin.com/pulse/mcdonalds-une-concurrence-dun-nouveau-genre-jean-philippe-cunniet?trk=prof-post

    Et si on se rencontrait pour en parler, devant un… café ou un salade ?

    Amitiés, JP

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