Elon Musk, la révolution technologique ou la possibilité de l’optimisme

La perfection évangélique ne conduit pas à l’empire. Cette phrase de Charles de Gaulle s’applique à Elon Musk comme elle s’appliquait à Steve Jobs. Le général ajoutait que les hommes de talent entreprenant une grande œuvre avaient rarement une vie personnelle facile. Là encore cela s’applique à Musk, comme le montre sa biographie parue en Français, que je viens d’achever. Voici ce que cette lecture m’a inspiré.

De toute évidence, Musk est un homme extraordinaire. Après une enfance difficile en Afrique du Sud avec un père violent, il atterrit au Canada puis arrive aux Etats-Unis. Il crée une première startup, revenue pour une belle somme, puis il investit dans PayPal, qu’il revend une fortune. Il réinvestit l’intégralité de cette somme dans trois projets: Tesla, SpaceX et SolarCity. Tesla, le plus connu, est un projet de voiture électrique qui révolutionne l’industrie. Au contraire de tous les essais précédents de voiture électrique qui essayaient d’être les moins chères possibles, il positionne sa voiture dans le segment du luxe, avec la Roadster puis la Tesla modèle S, un superbe coupé sportif.

SpaceX: Révolution spatiale en route
SpaceX: Révolution spatiale en route (Source: SpaceX)

SpaceX, moins connue, est pourtant un exploit: en un temps record, Musk crée un nouvel acteur entièrement privé du lanceur spatial. Personne ne lui aurait donné un centime pour parier sur lui. Résultat? Il réussit, offre des lancements 4 à 5 fois moins chers que ses concurrents qui employaient en gros les mêmes techniques depuis les années 60 en vivant des commandes de l’Etat. Musk, lui, revoit tous les procédés, tous les processus, reprend tout à zéro. Prévoyant initialement de sous-traiter le maximum de choses pour se concentrer sur les parties à valeur ajoutée, il change rapidement d’avis: les fournisseurs, habitués à travailler avec les dinosaures de l’industrie, sont trop lents et trop chers. Il est trop petit pour eux, ils ne le prennent pas au sérieux. Il décide donc de tout faire lui-même, divisant ses coûts pour certains composants par dix, voire cent. Résultat? Un lanceur innovant, fiable et très bon marché. Il engrange un contrat de 1,6 milliards de dollars de la NASA, à la stupéfaction de ses concurrents. Ses fusées Falcon ravitaillent la station spatiale internationale depuis 2012.

Avec SolarCity, il révolutionne le domaine de l’énergie solaire. L’entreprise pilotée par son frère, mais dont il est cofondateur, fabrique, finance et installe des panneaux solaires photovoltaïques en développant un réseau d’énergie. Ajoutons que Tesla développe également ses propres batteries, et vient d’annoncer le produit PowerWall, qui devrait révolutionner le secteur de l’énergie en permettant de développer la production et le stockage personnels.

Bien-sûr l’ouvrage donne force détails sur ces différents projets. Il montre bien comme Musk est souvent passé près de la catastrophe: fin 2008, ses trois projets étaient pratiquement à sec. Il montre également que dans la poursuite de ses objectifs, Musk se montre impitoyable, traitant mal ses employés, montrant un comportement à la limite de l’autisme. Comme pour Steve Jobs, d’aucuns en déduiront, faussement bien-sûr, qu’il faut nécessairement être un salaud pour réussir quelque chose de grand, alors que ce que Musk montre, c’est qu’on peut réussir quelque chose de grand aussi en étant un salaud. On voit surtout qu’il existe une ligne tenue entre l’exigence nécessaire à l’accomplissement de grandes choses, qui ne peut souffrir de compromis, et la dérive autoritaire. Mais comme Steve Jobs, et peut-être plus que lui, Musk connaît à fond son sujet: il est une encyclopédie vivante sur les technologies spatiales et impressionne les meilleurs experts par sa maîtrise du sujet. Une leçon que devrait méditer beaucoup de chefs d’entreprise français qui n’ont aucune idée de ce qui se passe dans leurs ateliers et leurs usines.

Mais surtout l’aventure de Musk est un formidable message d’espoir. Un sentiment se développe en effet actuellement selon lequel les grands jours de la croissance seraient derrière nous. Qu’il n’y aurait plus grand-chose à inventer. Peter Thiel, autre entrepreneur mythique de la Silicon Valley, n’a-t-il pas récemment déclaré d’un ton désabusé « On rêvait de voitures volantes, on a eu les 140 caractères de Twitter »?

Heureusement tout le monde ne partage pas ce pessimisme. Un certain nombre de chercheurs et d’industriels estime au contraire qu’on est au début d’une nouvelle révolution industrielle. Qu’on peut encore rêver de grands projets. Musk est de ceux-là. Il rêve d’un monde qui n’utiliserait plus de pétrole et il voudrait aller vivre sur Mars. Il a créé SolarCity et Tesla avec pour ambition première de réduire le réchauffement climatique. Il ne bluffe pas: Il a mis en accès libre une grande partie des brevets de Tesla pour faciliter le développement des voitures électriques.

On voit dès lors le lien entre ses différents projets: de l’énergie propre, et des fusées pour aller sur Mars. Il veut aussi révolutionner les transports en commun avec son projet Hyperloop. On peut sourire et lui prêter une naïveté de self-made man. Mais ce serait oublier que ce type de projet fou a nourri toute l’histoire de l’innovation. Les frères Wright étaient fous de vouloir voler alors que les plus grands scientifiques avaient montré que le plus lourd que l’air était impossible. Henry Ford était fou de vouloir offrir une voiture pour le tiers du prix des voitures de l’époque. On oublie à quel point beaucoup d’innovateurs ont été cloués au pilori à leur époque quand ils ont partagé leur rêve, leur ambition, et leur projet. On oublie à quel point le pessimisme peut être destructeur, et à quel point il se trompe. Il n’est qu’à regarder les prédictions de Malthus à la fin du XVIIIe siècle, ou celles de Paul Ehrlich en 1970 sur la famine inéluctable qui attendait le monde.

Pour tous ses défauts, Musk continue cette tradition d’optimisme et de volontarisme, cette foi en la technologie qui permet, depuis des milliers d’années, d’améliorer la condition de l’homme, en rendant possibles des choses qui nous paraissent ridicules aujourd’hui et qui seront indispensables à nos enfants demain.

Référence de l’ouvrage: « Elon Musk » écrit par Ashlee Vance paru chez Eyrolles. Sur Malthus, on pourra lire mon article: « 200 après, le malthusianisme a toujours tort. » Mon article sur PowerWall: « Pourquoi la batterie PowerWall de Tesla est vraiment disruptive« .

24 réflexions au sujet de « Elon Musk, la révolution technologique ou la possibilité de l’optimisme »

  1. Vous y croyez vraiment à ce gus gus?
    Je pense qu’il va couler aussi rapidement qu’il a emergé!
    L’auteur oublie de mentionner que Tesla n’a pas encore engendré de bénéfices et que solarcity est une catastrophe ou plutôt un puit énergétique. Bref il a beau être créatif on ne peut pas violer les lois de la thermodynamique (dissipation de l’énergie et entropie) le jour où les économistes comme vous comprendront cela le capitalisme s’effondrera
    Ouf bon débarras je préfère vivre sur une planète habitacle tant bien que mal que de me déplacer à 1500 km/h!!!

    1. Le « gus » révolutionne trois industries,et toutes les entreprises de ce type ont commencé en perdant de l’argent. Il n’est nullement assuré de son succès, il peut échouer, mais il essaie. C’est ça le capitalisme camarade.

      1. ça vous attire encore ce capitalisme? Lancer des industries pour attiser le désir et l’avidité dans une consommation effrenée des ressources? Bien sûr au détriment de la planète qui voit sa biodiversité disparaitre nous menant à une sixième extinction planétaire. Vous ne voyez pas émerger un monde inégalitaire? S’il vous plaît, vous êtes apparament prof dans une école de commerce, intéressez vous à la science, apprenez la thermodynamique, l’écologie…
        Intéressez vous à l’énergie et vous comprendrez que tout cette excitation autour des batteries et panneaux solaires c’est l’arnaque des subprimes de 2008 puissance 10.
        La seule énergie rentable est fossile et s’épuise, c’est la tragédie moderne

      2. Vu votre brillant parcours je suis curieux de connaître votre avis et critiques sur les thèses de Philippe Bihouix.
        Merci d’avance

  2. Quand Musk a décidé de se lancer dans l’industrie des lanceurs, sa première action aura été de se former aux techniques aérospatiales. Non pas la gestion, ou le vernis jargoneux (il existe réellement des formations de ce type…) mais la mécanique spatiale (la vraie, pas la vulgarisation), les diverses technologie, etc. De la sorte, quand il demande « l’impossible », il s’agit toujours d’un « impossible réalisable »…
    Et nombreux sont les patrons des startup à succès en font peu ou prou autant. Face au patron de Google, un directeur informatique n’a pas intérêt à « enfumer » sur la sécurité informatique, car le plus « costaud » des deux n’est pas celui qu’on croit… Ce qui a valu à Micro$oft une longue pénitence.
    À comparer à nos technocrates, qui sont si fiers de leur incompétence, et méprisent ouvertement les « cultures d’ingénieurs ». Et « gobent » tout ce qu’on leur dit, une fois que c’est transformé en lignes budgétaires…

  3. L’une des grandes forces d’Elon Musk, c’est sa capacité de penser « hors du cadre », qui l’amène par exemple, comme vous le citez, à se lancer dans la voiture électrique en ciblant le haut de gamme. L’autre compétence clé qui lui donne un avantage, c’est sa compréhension des chaînes de valeur. C’est ce qui lui a permis de rationaliser la production des lanceurs de SpaceX. Quant à la critique émise dans un commentaire du manque d’innovation de ses lanceurs SpaceX. Evidemment, Elon Musk se contente pour l’essentiel d’utiliser des composants existants. Mais cette simple capacité à produire des lanceurs bons marchés et en soi une innovation, et tant pis pour les dinosaures du secteur qui maintenant se demandent comment faire pour abaisser leurs coûts. Et si son concept de lanceur réutilisable (également développé chez Blue Origin de Jeff Bezos) n’est pas encore en phase d’exploitation, en tout cas ce projet à réveiller les grands acteurs du spatial qui se demandent maintenant comment développer un véhicule similaire.

    1. Vous avez entièrement raison: repenser le mode de conception et de fabrication avec des composants du marché, ça peut paraître « pas noble » mais c’est une des grandes méthodes d’innovation. Il ne se « contente pas » d’utiliser des composants du marché, il a décidé de le faire quand sa première approche, les faire faire par les spécialistes de l’aéronautique, a échoué.

  4. « Comme pour Steve Jobs, d’aucuns en déduiront, faussement bien-sûr, qu’il faut nécessairement être un salaud pour réussir quelque chose de grand, alors que ce que Musk montre, c’est qu’on peut réussir quelque chose de grand aussi en étant un salaud. »
    Alors, quelles sont les grandes choses qui ont été réalisées par des hommes normaux ?

  5. « Il offre des lancements 4 à 5 fois moins chers que ses concurrents qui employaient en gros les mêmes techniques depuis les années 60 en vivant des commandes de l’Etat. »
    Ce n’est pas tout à fait vrai, SpaceX a certes permit de réduire drastiquement certains coup grâce à une architecture industrielle très intégrée mais la technologie de ses lanceurs n’est pas technologiquement innovante. Les nombreux petits moteurs Merlin équipant la fusée sont certes peu couteux mais utilisent des technologies simples et éprouvées.
    De plus ce sont les commandes institutionnelles américaines (Department of Defense et NASA) à SpaceX (qui coutent cher au contribuable américain) qui lui permettent de proposer des tarifs très attractifs sur le marché commercial. SpaceX est ainsi régulièrement accusé de Dumping par ses concurrents.
    Certes SpaceX permet de réduire les coûts d’accès à l’espace mais il s’appuie en cela sur des décénnies d’investissement étatiques (technologie, installations, ingénieurs qualifiés).
    Il faut cependant reconnaître que maintenant qu’il est bien installé il se met à son tour à dévelloper des technologies nouvelles (lanceurs réutilisables dont la rentabiité doit encore être démontré, capsule de récupération Dragon V2)

    « Il a mis en accès libre une grande partie des brevets de Tesla pour faciliter le développement des voitures électriques. »
    L’intérét n’est pas que philanthropique, alors que la technologie commencent à peine vraiment s’industrialiser, de nombreux standards apparaissent et l’accès libre des brevets permet avant tout de gagner cette bataille des standards.

    Bref il ne faut rien enlever aux qualités de monsieur Musk mais il ne faut pas non plus sombrer dans la contemplation béate du bonhomme:

  6. Bonjour,

    Sans nier de vraies avancées technologiques et économiques (que vous relevez très justement, et dont je partage l’esprit profond), il me semble également important de tempérer l’enthousiasme affiché pour Spaxe X :

    1) Il est un peu tôt encore pour dire si le pari est réellement gagné. Certes, il est en bonne voie, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. En dépit de l’accélération du carnet de commandes, et de la crédibilité gagnée, la rentabilité sera t-elle suffisante (et durable) pour pouvoir compenser les investissements ?

    2) Space X a bénéficié d’un écosystème accueillant, recherche, infrastructures, fournisseurs, créé au prix de décennies d’investissements lourds : il vient en quelque sorte « ubériser » la conquête spatiale (et il a raison de le faire, il optimise le système existant).

    3) Surtout, le spatial est par excellence un domaine de « puissance » et donc extrêmement assujetti à l’influence des états (qui sont loin encore très loin de renoncer à cette marque impériale qu’est l’autonomie spatiale). Donc, en tant que tel, bénéficiant du soutien intéressé des Etats-Unis pour étouffer la concurrence existante (Europe-France et Russie avant tout, Chine et Japon ensuite, Inde à long terme). Ce qui peut aussi expliquer pourquoi la NASA a décidé de soutenir ce nouvel entrant …

    Bref, bien sûr que l’homme a probablement du génie, mais d’autres intérêts puissants en jeu ont aussi permis cette naissance…

  7. Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient.

  8. « Il faut préférer l’optimisme de l’action au pessimisme de l’intelligence »…mais où ai-je lu cette citation..ne serait ce pas dans « Relever le défi de l’innovation de rupture? »

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