La France est-elle un paradis pour les entrepreneurs? Pas si vite!

J’achève la lecture du nouveau livre de mon confrère et ami Fabrice Cavarretta, professeur à l’ESSEC, qui s’intitule « Oui, la France est un paradis pour les entrepreneurs! » Je partage nombre de ses observations, mais j’émets quand-même quelques réserves… La France est-elle un paradis pour les entrepreneurs? Pas si vite!

D’abord, comme le souligne Fabrice au travers de nombreux exemples (et son idée de parcourir le livre en suivant plusieurs entrepreneurs imaginaires fonctionne très bien), entreprendre en France n’est pas difficile, et notre système offre de nombreux avantages. Parmi ceux-ci, Fabrice cite les nombreuses aides, l’existence d’industries dans lesquelles la France est en pointe (le militaire, le luxe, etc.) et qui peuvent servir de locomotives aux entrepreneurs. De même, une infrastructure en bon état (réseau télécom, trains, routes, etc.) est un facteur important facilitant la vie des entrepreneurs.

L’ouvrage rappelle fort opportunément que chaque pays a ses défauts, y compris les Etats-Unis que l’on croit souvent, et à tort, être le paradis des entrepreneurs. Pour ne prendre qu’un exemple, l’environnement légal y est beaucoup plus dur et il est impensable d’y créer sans avoir un bon avocat et lui consacrer un budget important. C’est une barrière à l’entrée pour les petits acteurs qui n’existe pas en France. L’Allemagne, quant à elle, est hostile au travail des femmes ce qui fait que l’entrepreneuriat au féminin y est beaucoup plus difficile que chez nous, où il peut s’épanouir plus facilement, ne serait-ce que grâce à un système de garde d’enfant beaucoup plus développé et peu onéreux.

Au-delà, l’ouvrage est un appel à cesser le « French-bashing », cette attitude assez répandue ces derniers temps consistant à dénigrer notre pays sur le thème de « tout est foutu » et « c’est mieux ailleurs ». En ce sens il est bienvenu. Il est évident, et l’ouvrage le montre sur de nombreux points, que la France offre de vrais avantages à ses entrepreneurs, et que plus généralement notre pays dispose de vrais atouts en matière d’entrepreneuriat. D’ailleurs, je le fais souvent remarquer, la création d’entreprise connaît un succès sans précédent notamment auprès des jeunes, pour qui elle est devenue une activité relativement normale. Que l’entrepreneuriat soit devenu non seulement socialement acceptable, mais désirable, est un changement profond en France, et lourd de conséquences à l’avenir. Fabrice Cavarretta invite donc les entrepreneurs à s’appuyer sur les forces du système français, et elles sont nombreuses, et à ne pas s’appesantir sur ses faiblesses, et surtout ne pas imaginer que c’est forcément mieux ailleurs. Cette invitation est bienvenue.

Cela étant dit, je ne peux m’empêcher de voir une limite au propos du livre. Oui il est facile de créer une entreprise en France. Oui l’entrepreneuriat est devenu socialement accepté, voire encouragé. Oui, l’entrepreneur français peut s’appuyer sur de nombreuses forces de notre système, et oui, il faut arrêter le French bashing. Mais il faut aussi rendre compte de la réalité entrepreneuriale, qui n’est pas rose dans notre pays.

Bienvenue au paradis des entrepreneurs
Bienvenue au paradis des entrepreneurs

Il faut rappeler, par exemple, les nombreuses lois rétrogrades qui n’ont souvent pour but que d’empêcher l’émergence du nouveau et de protéger l’ancien. Notre pays a interdit les livraisons gratuites à Amazon, dans le seul but de protéger les libraires, pénalisant un acteur du commerce électronique. Notre gouvernement, comme ses prédécesseurs, défend bec et ongles les chauffeurs de taxis, arc-boutés sur leur privilège, fermant les yeux sur leurs violences, et empêchant des startups françaises du transport collaboratif d’émerger. Comme le rappelaient récemment Nicolas Colin et Yann Marteil dans un article au vitriol paru dans les Echos à propos du conflit entre les taxis et les VTC, le gouvernement se prétend l’allié des entrepreneurs, mais ses actes démentent cette assurance. Colin et Marteil ajoutent, « Tandis que le gouvernement cède aux taxis, l’avenir de la mobilité se décide ailleurs. » Ils rappellent également que Heetch, plateforme permettant aux jeunes de rentrer sans risque chez eux le soir après une soirée arrosée, est victime du harcèlement de la police: déjà plus de 220 de ses conducteurs ont été mis en garde à vue! Et pourtant, malgré 7 décisions de justice, jamais Heetch n’a été condamné. En vérité, le gouvernement aime les entrepreneurs, mais à condition que ceux-ci restent petits et ne viennent surtout pas bousculer le système établi et mettent en cause les rentes. Car alors le système se venge, et les gouvernements français de droite comme de gauche ont toujours écouté les lobbies et les rentiers.

On pourrait continuer la liste. Fabrice vante les aides publiques, et celles-ci sont réelles. Le Crédit Impôt Recherche en est une tout à fait typique. Mais il faudrait ajouter que l’obtention de l’aide entraîne quasi-automatiquement un contrôle fiscal. Compte tenu de la complexité des mécanismes, le redressement est quasi assuré. J’en sais quelque chose: pour une erreur technique faite par mon expert, j’ai du payer 50.000€ de redressement. Hasard de calendrier certainement, mais une erreur  commise par mon expert comptable dans le remboursement des tickets restaurants de mes employés (10 centimes) m’a coûté un redressement URSSAF de 25.000€. Au paradis des entrepreneurs, on vous attend au tournant!

Et faut-il parler du RSI, honte nationale qui plonge des milliers d’entrepreneurs dans la difficulté par ses dysfonctionnements et l’imbécilité de son principe? Tout le monde s’accorde à dire que le système est inepte. Mais rien ne change, parce que comme ce sont des entrepreneurs, tout le monde s’en fiche.

Faut-il également parler de l’incroyable lourdeur de la gestion des ressources humaines et du droit du travail dès que l’entreprise atteint dix salariés? Oui c’est une antienne qui vous vaut d’être traité de poujadiste, mais c’est pourtant une réalité, et je l’ai vécue. D’ailleurs poujadiste, c’est un mot inventé par l’establishment pour dénigrer les forçats de l’entrepreneuriat et de l’artisanat.

Faut-il également parler des multiples tentatives pour étrangler le statut auto-entrepreneur, voté par la droite dans un moment d’égarement, mais abhorré par la gauche, et que même Nicolas Sarkozy a décrié sous la pression, là encore, des lobbies? Droite et gauche unies dans leur rejet, en pratique, de l’entrepreneuriat et surtout de ce qu’il représente.

En conclusion, si notre pays dispose d’atouts indéniables, et si les entrepreneurs sont de plus en plus nombreux à tenter leur chance, la France est loin d’être un paradis pour les entrepreneurs. Oui il est important de souligner les points positifs pour remonter le moral des troupes. Mais passer sous silence une hostilité profonde d’une large partie du système français envers l’entrepreneuriat s’avère contre-productif au final. Car cette hostilité n’est pas que dans le discours, elle se traduit en actes, en lois et en règlements.

En vérité, l’entrepreneuriat français en émergence commence à buter contre l’élite politique et économique de notre système. C’est beaucoup plus à un clash qu’il faut s’attendre, qu’à un paradis verdoyant dans lequel les lions vivent paisiblement aux côtés des biches. Ce qui s’est passé avec les taxis n’est qu’une préfiguration de ce clash. Je rappelle qu’on a tabassé des chauffeurs de VTC et cassé leur outil de travail devant une police impassible. C’est ça le paradis des entrepreneurs??? Il ne faut pas se tromper de lecture: Le véritable terme qui caractérise le développement entrepreneurial dans notre pays n’est pas « paradis », mais « révolution ».

Voir à ce propos mon article « La révolution entrepreneuriale qui vient« . L’ouvrage de Fabrice Cavarretta est accessible ici.

5 réflexions au sujet de « La France est-elle un paradis pour les entrepreneurs? Pas si vite! »

  1. L’ÉTAT Français a édifié un système « égalitaire » socialiste qui permet de donner d’une main ce qu’il reprend au décuple de l’autre.

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