La source du dilemme de l’innovateur: 7 – L’asymétrie de motivation

Pourquoi les entreprises leader ont-elle autant de mal à répondre aux ruptures de leur environnement et à en tirer parti?

Le chercheur Clayton Christensen a depuis longtemps, dans un travail pionnier, montré en quoi cet échec n’était du ni à un manque de ressources, ni à la vitesse du changement, ni à une incapacité du management des entreprises, mais à ce qu’il appelle le dilemme de l’innovateur.

Dernier article d’une série sur les différents aspects de ce dilemme: l’asymétrie de motivation.

Le management comme l’entrepreneuriat enseignent souvent que l’attractivité d’une opportunité est une donnée objective: une opportunité est attractive ou pas, et ce pour tout le monde. Rien n’est plus faux, et les conséquences de cette conception erronée de la nature d’une opportunité se font particulièrement sentir dans le contexte d’une rupture.

Regardons ce qui se passe dans le cas de l’émergence du low-cost aérien, une rupture qui naît dans les années 70 avec notamment la compagnie Southwest Airlines aux États-Unis.

Lorsqu’elle démarre, SWA offre des trajets point-à-point sur des courtes distances, de type Dallas-Houston, pour un prix très inférieur à celui des compagnies aériennes de l’époque. En contrepartie, il faut accepter des conditions de voyages assez spartiates: pas de siège attribué, aucun service à bord, un hall d’embarquement à l’autre bout de l’aéroport dans un hangar, etc. Qui est séduit par une telle offre? Certainement pas les professionnels et hommes d’affaires; plutôt les étudiants, les retraités et les vacanciers. C’est la première fois qu’il peuvent se payer l’avion, et ils sont donc prêts à faire des concessions en termes de qualité. Pour eux, c’est ça ou le voyage en bus, pour à peu près le même prix, mais sept à dix fois plus long.

Les compagnies aériennes classiques sont parfaitement au courant de ce qui se passe. Il se crée une nouvelle compagnie chaque semaine, il n’y a rien de secret. Mais de leur point de vue, cette clientèle n’est pas attractive: elle est très sensible aux prix, ne consomme aucun service complémentaire sur lequel ces compagnies gagnent souvent une marge forte (boissons en vol, etc.)

Ainsi s’établit donc l’asymétrie de motivation: la clientèle sur laquelle Southwest va baser son incroyable succès est totalement inattractive pour les compagnies aériennes classiques.

Même si elles décident que ce segment ne peut pas être abandonné, il va leur être impossible de le servir. Leur structure de coût est trop élevée. Cette structure a été créée pour servir des segments moyens et haut de gamme. Elle rend le service de segments d’entrée de gamme non rentable.

Cette asymétrie de motivation est renforcée par le fait que ces compagnies doivent faire des investissements pour servir ce segment alors que l’existence de celui-ci n’est pas prouvée. Même si cela paraît évident aujourd’hui, l’idée que des gens aux moyens modestes prendraient l’avion était assez nouvelle, et donc non prouvée, à l’époque. Pour les compagnies en place, cela représente un risque important. Compte tenu de la taille de leur activité existante, l’entreprise leader a donc plus à perdre à miser sur la rupture, que les nouveaux entrants qui, eux, ont tout à gagner et pas grand-chose à perdre.

⏮️ Voir la première partie de la série: La rupture de nouveaux marchés.

📖 Cet article est tiré de mon ouvrage Relevez le défi de l’innovation de rupture.

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3 réflexions au sujet de « La source du dilemme de l’innovateur: 7 – L’asymétrie de motivation »

  1. Un autre exemple d’assymétrie de motivation- on peut même parfois parler d’opposition- qui conditionne le management et l’organisation , ce sont les deux logiques du ‘pouvoir » et du « résultat » qui s’affrontent ; la première l’emportant souvent sur la seconde, surtout dans les grandes entreprises ou les administrations publiques ( à l’exception notoire des armées).

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