La révolution entrepreneuriale qui vient

À lire la presse et la blogosphère ces dernières semaines, il est difficile de ne pas être saisi par l’impression de délitement qui prévaut dans notre pays. On peut débattre à l’infini sur le fait que la presse n’est pas le reflet du pays réel, mais il est difficile de nier que nous sommes au bord du gouffre financier et que notre classe politique, et plus généralement notre élite, est totalement désemparée face aux défis auxquels nous devons faire face. Nous nous retrouvons dans ces périodes que notre pays semble malheureusement connaître souvent, face à une étrange défaite qu’a si bien décrite Marc Bloch, une défaite intellectuelle qui nous empêche d’énoncer clairement le problème et de l’admettre, et qui nous fait renoncer même à nous battre.

Mais cette défaite intellectuelle de nos élites masque une autre réalité: celle de l’incroyable dynamisme entrepreneurial du fameux pays réel. J’ai créé ma première entreprise en 1987 pendant mes études, et nous n’étions pas nombreux à le faire. Et aujourd’hui? Pas une grande école ou une université qui n’ait son programme d’initiation à l’entrepreneuriat. Les incubateurs fleurissent comme des marguerites au printemps. Et des accélérateurs. Et des cantines, des cuisines, des Family, des lieux-tiers, des pépinières, des fablabs. Des centaines de projets entrepreneuriaux, tellement que la tête vous en tourne. Des startups weekends. Des Makers fairs. Pas une semaine sans qu’on me sollicite pour tel ou tel événement ou telle ou telle initiative; je veux dire par là que ça en dit plus sur ce qui se passe que sur moi-même.

Mais ce n’est pas tout. Produit de la première révolution Internet, celle qui explosa en 2000 et dont les bonnes âmes se moquèrent tant, il existe désormais en France une population d’entrepreneurs de seconde voire de troisième génération, ceux qui ont plusieurs créations à leur actif. En agissant comme business angels et comme conseillers, ils augmentent le capital social et renforcent l’écosystème, facilitant la création et augmentant les chances de réussite des entreprises qu’ils conseillent. Ils maillent le territoire. Les résultats sont déjà là puisque plusieurs startups françaises connaissent des développements fulgurants aussi bien en termes de développement qu’en termes de levée de fonds (la récente levée par BlaBlaCar de 100 millions de dollars est un record). Free, PriceMinister, VentePrivée bien-sûr, mais aussi Criteo, BlaBlaCar, et tant d’autres. Insatisfaits d’un système éducatif rétrograde, ils créent même leurs écoles. L’ancien monde ne peut se réformer? Pas grave, on laisse tomber et on en crée un autre à côté.

Un constat s’impose donc: entreprendre en France n’est plus un problème, c’est même devenu banal: la volonté est là, les savoirs-faire et les ressources aussi.

On le voit, la question n’est pas de savoir s’il faut être optimiste ou pas. Ou s’il faut combattre le déclinisme. Le déclinisme, c’est penser que le déclin est inéluctable alors qu’il ne l’est jamais. On décline jusqu’au moment où on se ressaisit. C’est du ressaisissement dont il s’agit. La question n’est pas non de savoir s’il faut faire du French bashing ou pas. C’est mal poser le problème. Le problème en effet est que le dynamisme des français est étouffé par leur élite. Les pillards sont allés trop loin.

Souvent notre pays a compté sur un grand homme pour se ressaisir. En 1940, ce fut un général de brigade à titre temporaire qui s’exila à Londres, quasiment seul, et décida qu’il était la France. Seul dans son bureau. Aujourd’hui nous n’avons pas de grand homme en réserve et c’est peut-être mieux. Nous avons des milliers d’entrepreneurs.

Nous en sommes donc là: le sommet est bloqué et désemparé devant un monde qu’il ne comprend plus, un monde qui l’effraie. Il freine des quatre fers, s’enfonce dans la rhétorique et tente à tout prix de préserver le passé, multiplie les lois pour interdire ce qu’il ne peut plus empêcher, assuré que le ridicule ne tue pas. Il est devenu un immense point de blocage. Un goulet d’étranglement.

La base, elle, déborde d’énergie, embrasse ce monde d’opportunité avec bonheur, avec gourmandise, avec zebritude. La croisade d’Alexandre Jardin et de ses zèbres n’est qu’un exemple parmi d’autres de cette énergie. Cette base encaisse les attaques, les lois pernicieuses (Amazon, taxis, seuils, etc.) en sachant que rien ne l’arrêtera de toute façon. Mais elle ne se contentera pas de rester petite, cette base. Ce nouveau monde qu’elle crée, il grandit. Et il vient chatouiller l’ancien monde de plus en plus. Les frottements se multiplient, et bientôt les conflits.

La seule question est donc de savoir si le sommet acceptera, devant le constat de son propre échec, de céder gentiment la place au monde nouveau et de s’en aller discrètement, ou s’il faudra une catastrophe, comme celle de juin 1940, ou une révolution, pour que place nette soit faite. On préférerait la première solution mais il ne faut plus exclure la seconde. On en voit les prémisses partout.

La révolution entrepreneuriale française est en marche.

Sur l’importance de la bulle Internet, voir l’article que j’ai publié en 2005: « Vive la bulle Internet et merci Jean-Marie« . Je n’en retire pas une ligne.

ps: le titre de cet article est une allusion au texte anonyme « L’insurrection qui vient« , paru en 2007. Ouvrage remarquable, qui traduisait cependant, trait marquant des auteurs marxistes, une incompréhension fondamentale de la véritable nature du problème masquée par un romantisme sans issue. On en recommande néanmoins vivement la lecture.

Dans un genre différent, l’ouvrage de Marc Bloch, l’étrange défaite, constitue une analyse absolument remarquable de la défaite de Juin 1940. Il montre que la défaite ne fut pas morale mais intellectuelle. L’actualité de cet ouvrage est entière. L’ouvrage chez Amazon ici.

Mise à jour octobre 2014: on lira avec intérêt l’ouvrage de Robin Rivaton « La France est prête: Nous avons déjà changé » qui va dans le même sens: tout est prêt pour la révolution. L’ouvrage chez Amazon ici.

 

21 réflexions au sujet de « La révolution entrepreneuriale qui vient »

  1. Bravo! La France est le pays qui a inventé le mot « entrepreneur ». Même notre @montebourg s’y met. On ne peut que le féliciter (et se demander pourquoi ne l’a-t-il pas fait avant son passage à Bercy).

  2. Bonjour
    Auriez-vous connaissance d’un « penseur », « théoricien » de cette idée « tous entrepreneurs » ?

  3. Je trouve votre approche « trop » vers le haut, si vous me permettez cette remarque.
    Je pense en effet qu’une révolution, comme celle qui s’est engagée avec l’ouverture extraordinaire qu’offre Internet, est forcément longue et doit tirer vers le haut ceux d’entre nous qui restent en retrait de cette marche inéluctable vers un monde de savoir.
    Pour moi, la seule issue véritable est l’éducation de nos jeunes, de tous nos jeunes. Et par conséquent la route est encore longue.
    J’ai entièrement confiance en la capacité de l’Homme à se réinventer sans cesse. Donnons lui les bons outils dès le plus jeune âge et nous en ferons des entrepreneurs de leur vie, seule posture adaptée à un monde en évolution permanente.
    Si nos élites ont peur d’un monde qu’ils ne comprennent plus, ayons l’intelligence de ne pas reproduire avec nos enfants les mêmes schémas de pensée afin qu’eux aussi puisse inventer leur propre monde.
    Je suis convaincu que l’énergie dont vous parler et que je perçois autour de moi chez certains de mes amis et collègues, est fondamentalement portée par des esprits ouverts et cultivés qui n’attendent plus que tout leur soit mâché.
    Je ne fais pas l’apologie de l’élitisme mais rêve d’un partage plus large de cette ouverture d’esprit qu’apporte notamment la culture et l’entrepreneuriat.

    Pour ma part, la France reste encore une terre fertile tant que des personnes comme vous peuvent tenir une tribune comme celle que vous tenez.
    La révolution est effectivement en marche, y participer est enthousiasmant et générateur d’énergie positive. Alors continuons d’agir pour ce monde meilleur en gardant à l’esprit que nous le construisons pour nos enfants et avec nos enfants.

  4. Bonjour,
    Complètement d’accord avec vous. Le système change à vitesse grand V.
    Les marchés boursiers n’investissent plus dans les entreprises (ou alors sur les valeurs sûres et les gros potentiels), l’argent est redistribués aux actionnaires ou prêté aux états par définition solvalbles. Et il y a tellement d’argent … Quand on voit des intérêts négatifs, on croit marcher sur la tête.
    Les exemples cités de start-up sont exceptionnels mais j’espère que cela se reproduira.
    J’accompagne moi-même des start-ups sur mon temps personnel et espère réussir. Je n’attends rien des politiques complètement largués. Vous avez donc raison, on n’attend plus les orientations politiques et on trace notre chemin. De nombreux exemples sont sur le net sur les systèmes qui se mettent en place. Croisons les doigts.

  5. Les pilotes d’Air France ne devraient-ils pas constituer une force dynamique et visionnaire ? L’espoir et l’avenir de la société française ne peuvent pas se réduire qu’aux entrepreneurs… La volonté, la vision, le rêve ou le modèle doivent être partagés par tous les acteurs de la société, du salarié, jusqu’au président de la république. Le mal en France est une défiance des institutions et de l’autorité héritée de la la révolution, qui s’est transformée en excuses, en alibi, en mauvaise foi, et finalement en lâcheté. Nous Français sommes aussi responsables que nos élites dans la faillite de notre pays.

  6. Toujours aussi intéressant à lire, toujours autant « poil à gratter » pour ce qui concerne le développement. Merci de ce manifeste en faveur de la sortie vers le haut.
    Dommage que ceux qui tiennent les reines de la réglementation, des standards et de la fiscalité soient tous issus d’un monde protégé qui fonctionne en une forme d’autarcie égocentrique (pardon pour la redondance, mais le mal est là). Car même si la grande majorité des acteurs est consciente du problème, chaque fois qu’un livre blanc, qu’un rapport d’expert indique des pistes d’amélioration, une foule de « conservateurs concernés » se dresse pour trouver le moyen de battre en brèche tout ce qui pourrait contribuer au rebond indispensable à la survie de notre écosystème.
    L’individualisme et les contraintes personnelles nous empêchent de faire les changements collectifs indispensables à la révolution nécessaire.

  7. Je partage vostre sentiment mais un point me pousse à craindre que le rebond ne soit pas possible, ou pas aussi rapide.

    Quand j’ai voyagé en Irlande au fil des discussions ils m’ont expliqué que la culture irlandaise faisait que les Irlandais partaient, émigraient, quand ils n’arrivaient pas a réaliser leurs rêves sur place.
    C’est une chose qui ne se produisait pas trop en Francfe jusque récemment.
    Mon étrangère d’épouse reconnais bien que nous sommes des râleurs, et je doit lui dire que c’est ce qui fait qu’on cherche à changer les choses, même si on prend notre temps.

    le problème c’est que toute notre jeunesse, je l’observe, qu’elle ait 20-25ans sortant d’école, ou 50 cherchant à crée une entreprise, observe que le territoire Francais est fortifié et qu’ils n’y ont pas leur place.

    certains dénoncent les diplomes requis au sommet du ridicule, une fiscalité déprimante, mais plus grave j’ai observé des gens qui constataient que la structure de l’oligarchie écomique, des marchés régulés, de la règlementations, de l’urbanisme, ds lois prétendues défendre les libertés, les empêchaient d’espérer la moindre chance de réussir.

    alors ils partent. parfois pas physiquement. ils s’associent avec des suisses, des américains, des chinois, ils exportent, ils délocalisent. et là comme un marathonien qui lâche son sac de brique, malgré un paysage plus difficile, il se rend compte qu’il a acquis en France une capacité à gérer un incroyable complexité,à une règlementation omniprésente (un jeu avec ma chérie est de lui expliquer tout ce qu’il est interdit de faire sans de difficiles exceptions et autorisations et qu’elle croit possible… comme vendre des glaces en camion qui fait de la musique, construire, agrandir, vendre de la nourriture, des fleurs, louer)…

    je suis dans le fromage actuellement, trop bien dans le fromage.
    si je me fait éjecter du fromage il n’y a pas de doute que je devrais déménager ou au moins me connecter au pays émergent de ma chérie, parce qu’ici hors du fromage point de salut.

    en attendant, sans trouver le moindre moyen d’en profiter, je tente de changer le monde, et sauf coté profit, c’est très bien parti.

    notre monde est mort… ceux qui l’enterrent le font de suisse, des USA, de chine, sinon cachés en Italie en résistant aux rabats joie académiques, ou en France à la retraite, en bénévole, payé par l’état surtout pas pour ce travail.

  8. Très bon article, parfaitement contemporain. Effectivement nous sommes déjà en phase de conflit entre ancien et nouveau modèle comme nous le constatons entre taxis et VTC. Cependant vous me semblez très optimiste: nous vivons dans une oligarchie totalement déconnectée du réel: il est à craindre hélas que la « transition économique » ne se fasse pas en douceur mais dans la douleur d’un État en faillite lorsque les taux des OAT France remonteront et rien ne nous garanti qu’après des années de déni, notre oligarchie ne choisisse pas une fois de plus d’ajouter une couche de socialisme aux problèmes, nous rapprochant plus de Maduro et du Vénézuella que de l’Allemagne ou l’Angleterre…

  9. Excellent billet.
    un rebond : tu parles de l’incapacité de notre classe politique à saisir ce qui se joue dans le pays réel. Je partage ce point de vue, et il faut souligner qu’il n’est pas applicable qu’aux questions économiques. Sur beaucoup d’autres sujets, la politique de l’autruche prévaut : c’est le cas pour la question de l’immigration, ou de l’identité culturelle de la France.
    Il serait temps de simplement assumer que nous sommes une société ouverte, occidentale, libérale (dans tous les sens du terme).
    une question se pose : si nous n’avons le choix qu’entre des gouvernants éclairés qui comprendraient d’eux mêmes qu’il faut laisser la place, ou des heurts/révolutions, on est mal barrés ! Peut-être peut-on imaginer des voies moyennes, du milieu, avec par exemple un renforcement des référendums locaux (comme en Suisse) ?
    en tout cas, vite, de l’air ! (pour ne pas dire : du vent !)

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