La valeur d’une ressource est relative: Dragon Lady et la création de valeur entrepreneuriale

C’est l’histoire de Cheung Yan. Au cours d’un voyage aux Etats-Unis avec son mari, cette chinoise modeste observe que les Américains consomment beaucoup de papier–plus de 300 kg par personne chaque année. Or elle sait que les Chinois ont désespérément besoin de boîtes en carton pour les produits qu’ils exportent dans le monde entier, carton qui est produit à partir de papier. Elle crée America Chung Nam (ACN) en 1990 sur un investissement personnel de… 3.800$. Son plan est simple: récupérer le déchet papier aux États-Unis et l’exporter vers la Chine.

Au volant d’une fourgonnette de location, elle fait le tour des décharges américaines pour récupérer le papier. Comment l’envoyer en Chine pour pas trop cher? Elle comprend que les containers qui déversent les produits chinois aux Etats-Unis doivent repartir à vide, ce qui coûte très cher. Elle n’a pas de difficulté à négocier un tarif très avantageux pour les remplir de son papier auprès des compagnies de fret, trop heureuses de couvrir un peu mieux leurs coûts fixes. Le papier est vendu aux petits producteurs chinois qui l’utilisent pour la fabrication de matériaux d’emballage. Rapidement, Cheung et son mari remplissent beaucoup de containers, et finissent par fabriquer le carton eux-mêmes en créant une société à Hong Kong. Aujourd’hui, cette société est le premier producteur de carton en Chine et parmi les plus importants au niveau mondial, et les déchets de papier sont devenu le principal produit d’exportation en volume des États-Unis!

Il y a trois enseignements à tirer de cette histoire. Le premier est que des entreprises peuvent facilement être créées avec des choses qui existent déjà. On croit souvent que, pour démarrer une entreprise, il faut une innovation technologique, ou une idée géniale pour construire quelque chose que personne d’autre n’a jamais fait. Mais Cheung a commencé avec rien de plus que des déchets – accessibles à tous, gratuitement!

Le second enseignement est que les idées ne deviennent des opportunités que lorsque quelqu’un agit. Le fait que les Américains produisent beaucoup de déchets papier, et que la Chine ait besoin d’énormes quantités de carton, n’étaient un secret pour personne en 1990. Mais rien ne s’est produit jusqu’à ce qu’un entrepreneur, en l’occurrence une chinoise modeste, monte dans sa fourgonnette et crée cette opportunité, sur la base d’information pourtant connue de tous.

Le troisième enseignement concerne la notion de ressource. Nous avons cette idée qu’une ressource est toujours quelque chose d’objectivement précieux, et que tout le monde s’accorde sur sa valeur. L’histoire de Cheung Yan montre qu’il n’en est rien. La valeur d’une ressource est quelque chose de très relatif, et surtout de très subjectif. Elle dépend de ce qu’on va en faire. Ici, nous avons des propriétaires de décharge qui supplient littéralement Cheung Yan de les débarrasser du papier dont ils ne savent que faire, qui la paient même pour l’emporter, tandis qu’elle transforme ces mêmes-déchets en source précieuse de revenus. Ainsi, ce qui fonde la valeur d’une ressource, c’est beaucoup plus l’usage qu’on en fait, et les entreprises qui dorment sur leurs tas de brevets dont elles ne font rien, devraient en tirer leçon. La caractéristique d’un entrepreneur est peut-être précisément d’être capable de donner une valeur à une ressource grâce à une usage inattendu de celle-ci, auquel d’autres n’ont pas pensé.

Pour en savoir plus sur le processus entrepreneurial de l’effectuation, lire mon article « Comment les entrepreneurs pensent et agissent… vraiment« . La source pour cet article est la note de Stuart Read et Nick Dew, Dragon lady.

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15 réflexions au sujet de « La valeur d’une ressource est relative: Dragon Lady et la création de valeur entrepreneuriale »

  1. J’avais découvert cela sur BFM business voilà quelques semaines, et avais été particulièrement intéressé. Merci pour les détails complémentaires et pour l’analyse très pertinente qui accompagne l’histoire 🙂 Sur les ressources, on voit effectivement dans la littérature monter quelques travaux sur la notion de « junk resources » qui sont intéressantes et permettent d’aborder les dynamiques entrepreneuriales et d’analyser les succès de certaines boîtes d’une manière dissonante par rapport aux théories plus classiques – et ça fait du bien 🙂

    1. Ah je en savais même pas que BFM en avait parlé, ils sont forts… Je serais curieux de voir leur analyse. Sans dout l’histoire de l’idée de génie… Frédérci Fréry parle également de resources repoussantes…

  2. Très jolie histoire : le genre d’histoire qui fait rêver.
    L’économie circulaire est l’avenir

  3. Very good translation Philippe of the original article published in article Business Life, British Airways’ inflight magazine, Congratulations because your adaptation is even better than the original from Pr. Stuart Read et Nick Dew at IMD Lausanne.

  4. Un phénomène intéressant s’observe dans les initiatives de recyclage. Au début la ressource a une valeur négative, les gens paient pour s’en débarasser ou éviter les frais de décharge. Les startups fondent leur business plans sur ce coût négatif. Puis, des startups ou acteurs établis commencent à valoriser la matière, la filière se structure, et le prix monte (parfois en flèche) jusqu’à devenir rare. Ce qui compromet alors la rentabilité des projets.

    Observé systématiquement, mais toujours une surprise !

  5. Un verre d’eau dans le désert a plus de valeur que ce même verre d’eau pendant mon repas à la cantine… il a tout de même fallu attendre la fin du 19e siècle pour que Leon Walras « découvre » cela.
    Et c’est bien de cela dont il s’agit : la capacité de l’entrepreneur à re-contextualiser son environnement et focaliser son effort sur une seule chose.
    Avec cette belle histoire toute simple, la semaine ne pouvait pas mieux commencer. Merci, Philippe.

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