Tous entrepreneurs? Pas si vite…

L’un des messages de l’Effectuation, la logique d’action des entrepreneurs experts, est que n’importe qui peut devenir entrepreneur, et ce pour une raison simple: les cinq principes d’action de l’Effectuation peuvent s’apprendre. Si n’importe qui peut devenir entrepreneur, cela signifie-t-il pour autant que tout le monde doive le devenir? Loin s’en faut.

Scott Shane, un des chercheurs en entrepreneuriat les plus réputés, répond en effet par la négative dans son livre « The illusions of entrepreneurship« , que l’on pourrait traduire par « Les mythes de l’entrepreneuriat ». L’importance de la création d’entreprise est devenue un dogme tellement prévalent qu’il n’est plus du tout discuté. Il faut créer des entreprises, et le plus possible, et les programmes nationaux et régionaux se succèdent et s’accumulent à cette fin.

Or Shane indique qu’aucune étude n’a jamais montré que créer plus d’entreprises contribue à la croissance, développe l’innovation ou crée plus d’emplois. Il existe des pays très entrepreneuriaux qui pourtant ne décollent pas économiquement car cette activité entrepreneuriale est surtout faite d’artisanat et de commerce, faiblement créateurs de valeur ajoutée et incapable de croissance. Ce n’est pas tout. Shane  indique également que généralement, les programmes publics d’incitation à la création d’entreprises orientent les gens dans des industries à faible barrière d’entrée et fort taux d’échec. Cela s’explique assez facilement: si c’est une incitation gouvernementale qui vous pousse à créer votre entreprise, c’est que la motivation n’était pas très forte, vous aurez donc tendance à aller au plus facile, dans ce que vous connaissez, ce qui n’est pas nécessairement le plus prometteur. Shane observe également que les entreprises créées en réponse à une incitation gouvernementale ne créent pas plus d’emploi et n’améliorent pas la productivité par rapport à d’autres créations.

Assez directement, Shane conclut qu’investir un dollar dans la création d’une entreprise est souvent moins efficace qu’investir ce dollar dans le développement d’une entreprise existante. L’excellent ouvrage de David Audretsch, un autre chercheur en entrepreneriat, tire d’ailleurs les mêmes conclusions: David Audretsch, The Entrepreneurial Society. Shane et Audretsch  rejoignent en cela un de mes profs d’entrepreneuriat qui inaugurait ainsi son cours: « Il vaut beaucoup mieux racheter une entreprise qu’en créer une, mais puisque tout le monde ne pense qu’à créer, voici donc un cours sur la création d’entreprise. »

Ce qu’il faut encourager, ce n’est donc pas la création d’entreprise. Non seulement parce qu’on incite à des créations non créatrices de valeur, mais aussi et surtout parce que nombre de ces entreprises ne grandiront jamais. Cela ne signifie pas qu’il faille non plus décourager cette création, ni qu’il faille supprimer le statut d’auto-entrepreneur par exemple. Ce qu’il faut surtout encourager, c’est l’attitude entrepreneuriale au sens large et promouvoir l’idée que le talent entrepreneurial peut s’exercer de multiples façons. Il ne s’agit pas seulement de créer une entreprise, il peut s’agir aussi de redynamiser une petite PME ou l’unité d’affaire d’une grande entreprise: on parle alors d’intrapreneuriat, mais les principes entrepreneuriaux sont les mêmes. Il y a donc de multiples manières d’exercer un talent entrepreneurial, et la création d’entreprise n’en est qu’une, et pas toujours la plus efficace du point de vue personnel comme du point de vue collectif.

Voir mon introduction à l’Effectuation ici.