Entrepreneuriat: Effectuation et lean startups, points communs et différences

L’idée que la création d’entreprise passe nécessairement par une grande idée initiale et l’écriture d’un plan d’affaire anticipant précisément le développement du projet est progressivement abandonnée, et c’est une bonne chose. L’effectuation, logique d’action des entrepreneurs experts, dont ce blog fait depuis longtemps la promotion, a bien montré combien les principes sur lesquels s’appuient les entrepreneurs experts s’en éloignent. Récemment, le concept de « lean startup » a également suscité un fort intérêt. Regardons les points communs et différences entre l’Effectuation et lean startups.

L’effectuation s’appuie sur cinq principes: démarrer avec ce qu’on a sous la main, raisonner en perte acceptable, construire son projet en suscitant l’engagement d’un nombre croissant de parties prenantes, tirer parti des surprises et transformer son environnement. Le concept de lean startup, promu par Eric Ries dans son livre éponyme, s’inspire du mouvement « lean » (léger) qui s’est développé il y a quelques années dans l’industrie. Le principe du lean startup, c’est de démarrer vite, sans attendre que le concept soit au point car il y a de fortes chances qu’il doive évoluer de toute façon, et d’effectuer des itérations rapides pour adapter le projet en fonction des premiers résultats. Le coeur de l’itération lean est le triptyque « Construire, mesurer, apprendre » répété autant de fois que nécessaire. Construire le projet, mesurer les résultats, apprendre de ces résultats sur ce qui marche et ne marche pas, et recommencer à construire. On voit donc que le lean repose sur la définition progressive du concept business (ou modèle d’affaire) au travers de l’expérimentation en réel, de l’apprentissage et de l’adaptation. Un autre concept lié est celui de produit viable minimum (Minimum viable product ou MVP): comme il faut se lancer le plus vite possible, et non pas développer le produit parfait, se pose naturellement la question de ce qu’il faut au minimum comme produit ou service pour pouvoir le faire. Le MVP est donc cela: le produit ou service minimum pour pouvoir enclencher le cycle construire-mesurer-apprendre. Par exemple, Ries mentionne un site de commande en ligne de plats cuisinés qui au début n’avait… qu’une seule cliente. Tout était fait à la main derrière le site et le nombre de plats était limité. Peu à peu, l’équipe a amélioré le concept sur la base des retour de la cliente (qui ignorait naturellement qu’elle était la seule cliente) et développé l’infrastructure, mais seulement lorsque le concept produit était au point.

Cette idée de développement progressif et itératif est partagé avec l’effectuation, qui elle aussi montre que les entrepreneurs débutent rarement avec l’idée parfaite, mais la développent au fur et à mesure. Un autre point commun des deux approches est la notion de perte acceptable (même si Lean n’emploie pas le terme): l’idée que l’entrepreneur pour avancer considère plus ce qu’il est prêt à perdre que ce qu’il s’attend à gagner. On démarre en misant peu, et si on perd ce n’est pas grave.

Il y a toutefois deux différences fondamentales entre les deux: la première, c’est que Lean est assez spécifiquement adapté aux startups high-tech, en particulier celles de l’Internet: avec un site, l’itération et l’amélioration continue sont en effet très faciles. Nous sommes tous familiers de sites qui évoluent et s’améliorent littéralement tous les jours. Une telle approche est beaucoup plus difficile dans d’autres domaines, comme le développement de produits industriels. L’Effectuation, elle, est universelle.

La seconde différence, plus profonde, tient à la nature de l’itération. Pour Lean, l’itération permet un échange avec le marché pour adapter son produit. Pour l’effectuation, l’itération n’a pas tant pour objet d’améliorer le produit que de résoudre l’incertitude, ce qui est plus général. La résolution de cette incertitude passe par l’implication des parties prenantes. Ainsi donc, pour l’effectuation, la progression du projet entrepreneurial n’est pas seulement cognitive et passive (s’adapter et comprendre ce qu’il faut changer en mesurant)  mais aussi et surtout sociale et active (construire le marché en s’associant avec d’autres acteurs, comme les premiers clients, des revendeurs, etc.)

Pour en savoir plus: Le livre d’Eric Ries, Lean Startup chez Amazon. Pour en savoir plus sur l’Effectuation, lire mon article introductif ou lire mon ouvrage d’introduction ici.

12 réflexions au sujet de « Entrepreneuriat: Effectuation et lean startups, points communs et différences »

  1. Bonjour,

    Je suis étudiante à l’EMLYON et ai fait votre MOOC Effectuation qui m’a beaucoup apporté! Merci
    L’Effectuation parait donc plus universelle que le Lean.
    Les méthodes d’Effectuation, sont-elles aussi pertinentes pour des social business ?
    Et sont-elles applicables pour des organisations, associations (autre que Entreprises) ?
    Je vous remercie

    Anne-Flore COURONNE

  2. Bonjour
    merci pour cet article et pour les commentaires qui me précèdent.

    Je présente souvent l’idée du lean start-up comme un principe d’itération au sein même de la boucle effectuale.

    Qu’en pensez vous ?

  3. Bonjour
    après plusieurs années d’accompagnement de projets de création d’activités innovantes, je souscris à cette approche opérationnelle pour le créateur qu’est l’effectuation.
    Que faire pour que les structures publiques d’aide, voire également des banquiers, comprennent cette approche et surtout la valorisent ? Trop de « business plans » formatés leur servent de support pour une décision en fait retardée par l’édition du BP, retardant d’autant la mise sur le marché du fruit de la bonne idée, ou du moins de son prototype

  4. Bonjour Philippe,
    Bon article en effet. On peut aussi se référer à l’article que j’ai publié dans le n°16 de la revue Entreprendre et Innover : Intégrer de nouvelles approches pour bâtir des stars-up plus pérennes.
    On peut lier effectuation, lean start-up, lean launchpad, design thinking, business model generation, …
    Le chantier est grand ouvert… et nous préparons un numéro spécial sur le thème pour la fin 2013 (l’appel à communication sortira d’ici peu).
    Avis aux amateurs.
    Olivier Witmeur.

    Voir: http://www.cairn.info/numero.php?ID_REVUE=ENTIN&ID_NUMPUBLIE=ENTIN_016&AJOUTBIBLIO=ENTIN_016_0030

  5. Bonjour,

    Il faut cependant noter que le lean startup n’est qu’une version « light » du customer development de Steve Blank, qui est plus adapté à tout type de production (alors qu’en effet le lean reste très IT même si Ries défend le contraire) et qui prend plus en compte l’implication des parties prenantes.

    A titre personnel je découvre simultanément le customer development et l’effectuation, et je trouve que les deux sont très proches. En fait le customer development me donne le sentiment d’être la boite à outils opérationnelle de la théorie puissante qu’est l’effectuation. Bien sûr il ne s’agit que d’un ressenti personnel.

    Pierre S.

    PS : merci beaucoup pour cet excellent blog

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