Entreprises innovantes : il n’y a pas que la high-tech !

Un article récent des Echos évoquait l’étude récente menée par le cabinet de conseil BCG pour déterminer quelles sont les entreprises les plus innovantes. Dans un contexte de crise économique persistante, c’est évidemment une question importante car ces entreprises peuvent être un exemple à suivre. Un des résultats marquants de cette étude était le repli notable des entreprises high-tech dans le classement. Faut-il s’en inquiéter ? Non, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, les classements sont trompeurs. Comme pour les saucisses, il faut toujours vérifier comment ils sont faits avant de les consommer : en l’occurrence, la méthodologie du BCG est basée sur le sondage d’un groupe de dirigeants. Il reflète donc ce que pensent ces dirigeants. L’innovation est en effet impossible à mesurer. On sait depuis longtemps que ce n’est pas le nombre de brevets qui permet cette mesure : Kodak, qui est en train de fermer ses portes, a longtemps été considérée comme une entreprise très innovante et était à la tête d’un portefeuille de brevets unique au monde dans le domaine de la photo. Celui-ci ne l’a pas sauvé, et vient en outre d’être cédé pour une bouchée de pain.

Deuxièmement, ce type de sondage favorise la mise en avant d’exemples extrêmes, totalement non représentatifs du tissu économique composé de milliers d’entreprises qui innovent à leur façon, souvent de façon non spectaculaire, mais qui n’en créent pas moins de valeur. On nous ressasse sans arrêt les Apple, Facebook et Airbus. C’est vrai que ces entreprises sont de grands innovateurs. Mais il y en a d’autres et l’innovation c’est beaucoup plus que l’iPhone…

Troisièmement, et plus généralement, la limite de tels études tient à la définition-même de l’innovation : l’innovation, selon l’économiste Joseph Schumpeter, c’est la mise en œuvre d’un changement économique adopté en pratique. C’est donc beaucoup plus général que le seul changement technique. EasyJet a révolutionné le transport aérien européen en ouvrant le ciel à tous avec un nouveau modèle économique, sans la moindre innovation technique. L’innovation, c’est aussi de nouvelles façons de fabriquer (on pense à l’impression 3D), de s’organiser, de livrer, etc. L’innovation, c’est aussi combiner tout cela. Ainsi la stratégie de Renault pour le véhicule électrique marie innovation technologique (nouveaux véhicules), innovation de modèle économique (location de batteries interchangeables aisément) et innovation institutionnelle (mise en place d’un réseau de points de recharge). Le fabricant d’outils Hilti propose désormais la livraison d’outils en location, plutôt que la vente, pour lutter contre la concurrence chinoise. Toujours dans l’outillage, mais plus près de nous, la PME lyonnaise Outilacier, à l’origine « simple » revendeur, a étendu ses activités et collectionne les prix d’innovation par une approche service intégrée en évolution constante.

L’innovation ce n’est pas forcément non plus de grandes ruptures. En France notre culture technocrate et colbertiste nous fait penser que l’innovation est forcément un grand projet comme Airbus ou le TGV, ce qui nous fait négliger l’innovation incrémentale, c’est-à-dire l’innovation à petits pas. L’une des raisons de la réussite de l’économie Allemande est au contraire que ses entreprises ont développé un mélange équilibré d’ingénierie, de technologie et de service qui leur a permis d’accroître leurs parts de marché dans les segments qui nécessitent une innovation constante, essentiellement incrémentale. On trouve des firmes allemandes, en général des PME, leaders dans des secteurs peu glamour et peu technologiques comme les machines-outils ou les presses à imprimer. Loin des projets d’innovation de rupture, loin de la high-tech, les entreprises allemandes se spécialisent dans des secteurs à forte valeur ajoutée non pas via l’innovation technologique, mais via l’innovation de service dans offre globale. On pourrait également citer les innovations comme le Swach, un filtre purificateur d’eau simple et très peu cher, qui a permis de sauver des milliers d’enfants en Inde où la qualité de l’eau n’est pas toujours bonne.

Au final, les exemples de réussites high-tech « extrêmes » comme Apple ou Facebook cachent l’extraordinaire diversité de l’innovation conduite de par le monde par des acteurs souvent peu mis en avant, et qui contribuent pourtant au moins autant au progrès humain.

5 réflexions au sujet de « Entreprises innovantes : il n’y a pas que la high-tech ! »

  1. et si pas l’innovation , quelle est la solution pour réussir son entreprise?

  2. Bonjour Philippe,

    Dans les domaines de la technologie et des entreprises, le marronnier numéro 1 est « l’innovation ». Ce mot-clef passionne journalistes, blogueurs et chefs d’entreprise.

    A leur yeux, elle serait la solution unique pour rebondir et « sortir de la crise ». Une entreprise innovante serait le meilleur moyen pour conquérir de nouveau marchés, de nouveaux clients. L’innovation serait même la clef pour « restaurer les profits », selon la formule consacrée.

    Cette vision technocratique est dépassée. Il y a maintenant plus d’une génération qu’on pensait au travers du commissariat au plan. Un monde où il suffisait d’avoir un produit excellent techniquement, et un système régulé pour l’imposer. La réussite des centrales nucléaires, du TGV ou d’Airbus seraient les preuves réelles du succès de ce modèle.

    Ne croyons pas a tout cela : l’innovation n’est pas un remède miracle. Il serait illusoire de penser qu’une activité aussi complexe et insaisissable se résume a une recette que l’on puisse partager au plus grand nombre.

    Nous avons le même point de vue je crois.

    Merci pour votre blog, je vous laisse le mien : « En route pour l’innovation » http://laurent.hausermann.org

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