La sous-estimation initiale des innovations de rupture, une erreur classique – à propos de l’impression 3D

Les innovations de rupture sont toujours sous-estimées au début. C’est l’une des raisons pour lesquelles elles finissent par surprendre. Un bon exemple est celui de l’impression 3D. L’impression 3D, ou fabrication additive, est une technologie permettant de fabriquer des objets par addition de gouttelettes de matière et non par assemblage de pièces fabriquées au préalable. La technique existe depuis plusieurs années mais ses progrès récents sont fulgurants et la baisse des prix des imprimantes 3D est importante, au point qu’on puisse désormais en acheter une pour dix mille euros.

Ce développement technologique allié à cette baisse de prix importante permet désormais de distribuer la fabrication et de la rendre accessible à presque tous. Nous avons été élevé dans l’idée que la fabrication, parce qu’elle implique de la matière, a besoin d’être centralisée pour être rentable. Elle nécessite des machines spécialisée, et chère, et donc du capital qui nécessite une concentration. La fabrication nécessite en outre de grandes séries pour être rentable, sauf à vendre très cher. L’impression 3D remet tout cela en question. Elle permet la fabrication sur mesure de manière rentable, en partie parce qu’elle est intrinsèquement économe en matière première. Son impact économique et social reste difficile à prévoir, mais il sera de toute évidence important et certains parlent même de nouvelle révolution industrielle.

Ce qui est intéressant c’est que dans la discussion, l’un de nos correspondants se montrait fort sceptique quant à cette technologie. Il racontait que, fabricant de vélos spécialisés, il avait du récemment rappeler tous ses produits parce que quelques uns d’entre deux avaient un défaut de soudage. Le rappel lui avait coûté près de 300.000 euros. Selon lui, une telle mésaventure illustre la complexité des processus de fabrication actuels et combien l’impression 3D est très loin d’être capable d’arriver à ce niveau d’exigence en termes de qualité, et donc pourquoi les méthodes de fabrication traditionnelles avaient encore de beaux jours devant elles.

Selon moi, cet interlocuteur commet une erreur classique qui est celle de juger d’une innovation de rupture à l’aune de la technologie dominante, c’est même la source de ce que le chercheur Clayton Christensen appelle le dilemme de l’innovateur. Comme il l’a montré, l’innovation de rupture est souvent moins performante sur les critères dominants, mais elle offre de nouvelles possibilités sur d’autres critères. Ainsi il n’est pas raisonnable d’exiger de l’impression 3D qu’elle atteigne la qualité des processus de fabrication traditionnelle, et le fait qu’elle le l’atteigne pas ne doit pas être une raison pour minimiser son importance. Ce qu’apporte l’impression 3D, c’est une qualité suffisante dans de nombreux cas, ce que les anglophones appellent « Good enough », mais d’immenses possibilités en termes de souplesse et de coût de fabrication. L’impression 3D, comme toutes les innovations de rupture, ce n’est donc pas la même chose en mieux, mais autre chose.

Pour aller plus loin, lire mon article « La source du dilemme de l’innovateur« . Voir également l’histoire du Lieutenant Sims, un cas de figure classique.

📬 Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à vous abonner pour être averti des prochains par mail (“Je m’abonne” en haut à droite sur la page d’accueil). Vous pouvez également me suivre sur linkedIn et sur Twitter.

28 réflexions au sujet de « La sous-estimation initiale des innovations de rupture, une erreur classique – à propos de l’impression 3D »

  1. Je redécouvre cet article, qui est l’endroit naturel pour un lien vers l’interview d’un des co-inventeurs de l’imprimante 3D (techno = polymérisation par laser, tranche par tranche) Puis le brevet a été abandonné « pour faire des économies » (j’ai moi-même quelques brevets, d’importance mineure il est vrai, « passés à la trappe » pour le même motif). Ce qui a permis par la suite à un américain de devenir l’inventeur officiel, bien dans l’ordre normal des choses.
    C’est en http://www.primante3d.com/inventeur/

  2. Aujourd’hui roulent des voitures avec des pièces imprimées en 3D en compétition.Des pièces devant subir les contraintes les plus importantes sur la voiture. Une compétition qui est la plus violente qui soit en matière de contraintes mécaniques dans le sport auto… Ces pièces 3D font mieux que les pièces usinées par les sous-traitant de l’aéronautique, sont plus vite fabriquées, plus compactes et elles ont un coût moindre… La série est en ligne de mire…

  3. « Les innovations de rupture sont toujours sous-estimées au début » … En fait, pas toutes, mais uniquement celles qui réussissent. Si une grande structure détecte l’innovation avant qu’elle ait atteint une « masse critique », elle va la tuer, et vous avez fort bien décrit les procédés habituels, que ce soit « par méchanceté ou par connerie » (comme disait l’adjudant de Fernandel dans Ignace 😉

    Dans le cas particulier de l’impression 3D, c’est (provisoirement) gagné : il y a trop d’acteurs pour pouvoir, par exemple, « normaliser » d’en haut une ergonomie de manière à ce qu’elle soit déficiente. Biens des progrès restent à accomplir, mais les individus créatifs auront encore la main pour quelques années.

    Par contre, la menace qui plane, c’est celle du copyright. Le risque que des « financier rusés » ne déposent un maximum de formes et de réalisation, comptant au besoin sur le coût de la justice rapporté à leur « ransomware » légal. Il devient urgent que le mouvement des « makers » se trouve des appuis politiques et financiers, un peu comme le monde du libre l’a fait en son temps face à la tentative de putsch sur les Unix/Linux libres.

  4. C’est bien pour ça qu’on parle de rupture, l’impression 3D apporte de nouvelles possibilités et doit encore évoluer pour remplacer les méthodes de fabrications désormais « classiques » en ayant au moins les mêmes qualités.

    1. je n’attendrais pas qu’elle les remplace, aujourd’hui c’est plutôt un complément. Il y a toutefois des zones de recouvrement et c’est là que c’est plus flou.

  5. Votre article me fait grand plaisir car j’avais depuis très longtemps subodoré les possibilités des méthodes de fabrication additives, je surveillais déjà il y a une quinzaine d’années les brevets qui sortaient sur le sujet. Ingénieur au CEA j’avais toute possibilité pour suivre ces innovations et sentant ma retraite arriver j’ai vu là une opportunité de joindre mon hobby (le modélisme ferroviaire) et mes envies entrepreneuriales. Ayant contacté les toutes premières entreprises dans ce domaine : Objet en Israël et Solidscape par son représentant en France, la première m’a renvoyé dans un superbe petit coffret en bois que je conserve précieusement, le flanc de petit wagon que je leur avais soumis, la deuxième dirigée par un polytechnicien m’avait répondu de manière très sèche que ce procédé ne pourrai jamais et en aucune façon servir à des utilisations aussi futiles !
    Dix ans plus tard, je lançais ma petite entreprise spécialisée dans les chemins de fer secondaires bien Français, un marché de niche lui-même dans une niche, mais j’exporte 25% de ma production grâce à la révolution internet, tous les modèles maîtres sont réalisés sur imprimante 3D et reproduits par moulage sous vide pour des coûts très raisonnables et une finesse qui s’améliore régulièrement (on est maintenant à des détails qui sont à la limite de la perception de l’œil). J’ai maintenant des collègues qui ont investi dans une machine et qui vendent directement les modèles réduits sortis par la machine.
    J’attends avec impatience les futures machines qui seront en dessous de 20.000€ avec la résolution des machines d’aujourd’hui, pour investir avec quelques collègues dans une machine. Pour les particuliers qui veulent profiter de cette révolution allez voir le site internet http://www.shapeways.com/ .

    1. Merci Yannick
      Votre contribution m’intéresse d’autant plus que je prépare une intervention sur l’impact de l’impression 3D sur la gouvernance et l’entreprise en général. Je vais lire vos écrits avec intérêt.
      Meilleures salutations
      Ph S.

  6. Bravo Philippe pour cet article qui illustre très bien les difficultés à évaluer le potentiel d’une innovation de rupture. Tu as raison, on n’utilisera pas la nouvelle innovation pour les mêmes applications que les solutions existantes. Le marché pour cette innovation de rupture naîtra à la périphérie des solutions existantes, à où il n’y a pas de solution.

  7. Matthieu je partage votre avis. La rupture va être énorme non pas en permettant de faire différemment la même chose, mais en permettant de faire des choses qu’il n’était pas possible de faire, et ce grâce à l’imprimante 3D associée à « d’autres choses ». Au minimum pour tirer parti de la longue traîne, dans d’autres domaines que les services numériques.

    La révolution n’est pas l’imprimante elle même mais ses conséquences. C’est un moyen nouveau pour faire des choses nouvelles.

    Notons que c’est aussi le moyen de s’abstraire du carcan de la compétitivité. Etre compétitif c’est, dans l’acception commune, être capable de faire la même chose pour moins cher ou plus vite. Pour battre le plus compétitif (et en matière d’injection plastique il n’est pas dans la Creuse…) ne suffit-il donc pas de faire autre chose et de le vendre aux mêmes clients ?

    Hé, Arnaud ! Utilise tes sous (les nôtres…) pour acheter des imprimantes 3D plutôt que pour rallumer les hauts fourneaux…

    F.L.

  8. Bonjour

    nous en avions brièvement parlé sur Twitter – moi-même fan d’impression 3d, je ne pense pas que l’imprimante 3d constitue une révolution industrielle à elle seule. En effet, et même si ses capacités et variété de matériaux vont augmenter, les objets inertes, simples et de taille limitée, ne sont pas tres intéressants. Nos étagères seront vite saturées de bibelots ! Les bijoux et les jouets sont les autres catégories d’objets qui peuvent aussi correspondre, et il reste aussi bien évidemment les applications médicales.

    Là où je pense qu’il peut y avoir un vrai impact c’est en combinant cette flexibilité « inerte » avec les autres éléments de démocratisation dans l’électronique grand public tel qu’Arduino. Par exemple je pense que les drones vont se répandre entre autres via cette voie semi grand public, et générer des applications intéressantes en terme d’information, de securite, et de productivite

Les commentaires sont fermés.