Effectuation – Les cinq principes de l’action entrepreneuriale – 2: Raisonnement en perte acceptable

Nous continuons à croire et à enseigner que l’entrepreneuriat commence par une grande idée mise en œuvre au moyen d’un plan d’affaire par des entrepreneurs super-héros. Il n’en est rien. Depuis vingt ans, l’effectuation montre que les entrepreneurs sont des gens normaux qui appliquent cinq principes d’action. Le second de ces principes est de raisonner en perte acceptable.

Comment un entrepreneur évalue-t-il ses choix dans la poursuite de son projet? Le modèle de prise de décision classique est basé sur une évaluation des gains attendus au regard des coûts supportés. Typiquement, un projet sera intéressant si le gain est supérieur aux coûts. On investit X, et on prévoit de ganger Y. Si Y est supérieur à X, en valeur actualisée, alors le projet est rentable et ça vaut la peine d’investir. Sinon, il faut l’abandonner. On compare donc une dépense aujourd’hui à un gain attendu dans le futur.

Sur le papier c’est clair et net. Mais dans la réalité ce n’est pas aussi simple. Ce qu’on dépense aujourd’hui est connu. mais ce qu’on va gagner dans le futur ne l’est pas. Et plus on s’avance dans le temps, plus ces estimations sont difficiles et risquent d’être totalement fantaisistes. C’est d’autant plus vrai que l’on travaille sur un marché émergent où l’on dispose de peu d’information pour estimer le potentiel d’un marché. L’incertitude qui caractérise les marchés nouveaux rend donc impossible les prédictions en général, et celles ayant trait au revenu en particulier. Et donc, en incertitude, baser sa décision sur une comparaison des dépenses (connues) et des gains (non connaissables) n’est pas rationnel. C’est prendre un très grand risque.

Et donc les entrepreneurs prennent leur décision sur la seule prise en compte des coûts. Il regardent le coût maximal qu’ils peuvent supporter. L’idée est la suivante: en s’engageant dans un projet entrepreneurial, il est facile de limiter son engagement en termes de coûts. Ainsi, un cadre récemment licencié pourra décider d’explorer une idée qui lui trotte dans la tête depuis un moment pendant six mois. Si au bout de six mois cela n’a rien donné, il cherchera à nouveau du travail. Le coût (perte de salaire, menus frais) est connu à l’avance, le risque parfaitement maîtrisé. En revanche, ce qu’il peut attendre de ces six mois n’est pas calculable: des contacts, une impression sur un marché possible, de l’information, une esquisse de produit, peut-être une mission de conseil inattendue qui ouvrira une piste, etc.

Ainsi, les entrepreneurs essaient quelque chose en sachant ce qu’ils peuvent perdre au pire, et ils décident ce qu’ils peuvent se permettre de perdre. On parle donc d’un raisonnement en « perte acceptable » par opposition au raisonnement classique en « gain attendu ». Les entrepreneurs préfèrent contrôler leur perte plutôt que miser sur un gain.

Encore une fois, cela fonctionne parce qu’au début d’un projet entrepreneurial, les coûts sont toujours beaucoup plus facilement estimables et contrôlables que les revenus. Il faut insister sur cette dimension de contrôle: face  l’incertitude d’un nouveau marché, l’entrepreneur cherche toujours à contrôler son environnement, même dans une faible mesure. Cette notion de contrôle est présente dans tous les principes de l’effectuation, très à rebours de l’image de l’entrepreneur casse-cou que l’on continue à promouvoir.

▶️ Article suivant: Le patchwork fou. Premier article: Faire avec ce qu’on a. Pour une introduction générale à l’Effectuation, voir mon billet « Effectuation: Comment les entrepreneurs pensent et agissent… vraiment.« 

📖 Cet article est tiré de mon ouvrage Effectuation: les principes de l’entrepreneuriat pour tous.

📬 Si vous avez aimé cet article, n’hésitez pas à vous abonner pour être averti des prochains par mail (“Je m’abonne” en haut à droite sur la page d’accueil). Vous pouvez également me suivre sur linkedIn et sur Twitter/X. Mes articles récents sont également disponibles en version 🎧 Podcast ici.

9 réflexions au sujet de « Effectuation – Les cinq principes de l’action entrepreneuriale – 2: Raisonnement en perte acceptable »

  1. Bonjour,

    Point de vue et démonstration très pertinents, m’autorisez-vous à vous citer et à mentionner votre exemple dans mon Cours Stratégie et Développement des PME ? Bien sûr je citerai également le lien vers votre Blog…
    Très Cordialement
    Philippe CHOLET ex Elève et diplômé du MBA de l’E.M. Lyon (1985) et Diplômé de l’ENSPTT, Paris 14

Laisser un commentaire