Ce que l’iPad nous apprend sur le coût du travail en général et sur l’innovation en particulier

Les chercheurs de l’Université de Californie à Irvine se sont livrés à un exercice très intéressant et très utile qui consiste à étudier la structure de coût et de profit d’un iPad, la tablette d’Apple vendue à plus de 35 millions d’exemplaires, pour ceux qui auraient vécu sur Mars ces trois dernières années. Concrètement la question qu’il s’est posée est la suivante: quel pays gagne quoi lorsqu’un iPad est vendu? La question est  importante, et la réponse est des plus intéressantes. Le découpage montre en effet que sur un iPad vendu 460 dollars, le coût du travail ne représente que… 33 dollars, dont 8 seulement pour la Chine. Oui, vous avez bien lu, huit petits dollars. C’est à dire que sur un iPad, la Chine ne gagne rien! Comment cela se fait-il? C’est simple: en brut, la Chine gagne plus, mais pour fabriquer le-dit iPad, elle doit elle-même importer de nombreux composants. En substance, l’iPad ne fait que « passer » par la Chine pour y être assemblé. La valeur ajoutée y est donc très faible. On conçoit donc qu’avec un tel pourcentage, l’avantage en terme de coût du travail ne joue pratiquement plus, surtout compte tenu de la marge énorme gagnée par Apple sur le produit.

Les chercheurs se sont donc interrogés pour savoir pourquoi Apple continue néanmoins à faire fabriquer l’iPad en Chine.

Regardez-moi comme un éco-système

La réponse tient à un mot: éco-système. Ce qui fait la vraie valeur de la production en Chine pour Apple n’est plus depuis longtemps le coût du travail, mais la capacité des fabricants Chinois comme Foxconn (en fait Taiwanais) à fournir clé-en-main un écosystème complet de fabricants, assembleurs couvrant la totalité de la chaîne nécessaire pour assembler l’iPad. Il y a plusieurs leçons à tirer de cet exemple. La première est qu’il faut cesser de voir la Chine comme un simple atelier du monde tirant profit du faible coût de sa main d’oeuvre. Cela a été vrai pendant trente ans, mais ce n’est plus le cas. La pression démographique et l’urbanisation rendent la main d’oeuvre chinoise de plus en plus chère. Les salaires y ont augmenté de près de 20% par an ces cinq dernières années, et ce n’est pas un hasard si Apple vient d’obtenir que Foxconn consente des augmentations de salaire à ses salariés. Certes Apple agit ainsi sous la pression internationale, mais la firme californienne est également consciente qu’elle doit garder ses ouvriers ce qui est de toute façon facile, dès lors que ceux-ci ne représentent plus grand chose dans le coût total du produit.

La seconde leçon à tirer concerne le débat sur le coût du travail en général. On le voit, celui-ci n’est qu’un aspect de l’avantage concurrentiel d’un pays ou d’une région. Pour ce qui est de la France, il est indéniable qu’il atteint des niveaux problématiques. Mais il est illusoire de penser qu’il suffira de le faire baisser, à supposer que cela soit possible, pour résoudre le problème du manque d’innovation. C’est en des termes beaucoup plus généraux qu’il faut poser celui-ci, notamment d’écosystème et d’industrie. Cela devient d’autant plus urgent que la Chine quitte peu à peu son statut de simple fabricant pour celui d’innovateur à part entière. L’écosystème de fabrication, étape importante de développement après l’atelier, est en effet le préalable logique à l’écosystème d’innovation. Oui nous avons un problème de coût du travail en France, mais nous avons avant tout un problème d’innovation: nous sommes incapables de fabriquer un iPad. Nous sommes d’ailleurs encore moins capables de l’inventer et d’en faire un best seller mondial. Au regard de ces problèmes, le coût du travail français devient presque secondaire.

Source: article de The Economist « The boomerang effect« .

3 réflexions au sujet de « Ce que l’iPad nous apprend sur le coût du travail en général et sur l’innovation en particulier »

  1. Il semble que l’Allemagne n’ait pas ce problème puisque l’économie s’appuie sur un réseau de PME performantes. Et il y a longtemps que le cout du travail n’est plus un problème pour eux.

    Néanmoins, la croyance forte que le cout du travail est LE problème en France entraîne une productivité horaire élevée avec un coût économique indéniable mais jamais mesuré : comment mesure t’on le cout du stress, du harcèlement, de la démotivation etc. ?

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