Capitalisme de copinage contre capitalisme entrepreneurial: le message de Ayn Rand et de Frédéric Bastiat

Un entretien filmé très intéressant avec Jennifer Burns, Professeur à l’Université de Virginie, évoque un aspect particulier du roman de Ayn Rand, “Atlas Shrugged” (paru récemment en français sous le titre “La grève”). La grève est souvent présentée comme une hymne au capitalisme, et ce n’est pas faux, mais ce n’est pas une hymne à n’importe quel capitalisme.

L’ouvrage, qui rappelons-le évoque une Amérique en perdition dans un système dont l’économie, de plus en plus contrôlée, s’effondre progressivement, est centré sur les efforts de deux héros, Dagny Taggart et Hank Rearden. Taggart dirige une ligne de chemin de fer. Elle en est l’héritière mais la dirige avec dynamisme et réussit à la maintenir à flot malgré un environnement de plus en plus difficiles. Rearden est un entrepreneur qui a mis au point un alliage métallique très performant. Incapables d’être à sa hauteur, ses concurrents complotent avec le gouvernement pour promulguer une loi obligeant l’entrepreneur à partager le métal avec eux. Les démêlés de Rearden avec ces concurrents qui dévoient le gouvernement pour défendre leurs intérêts privés remplissent des dizaines de pages du roman. Et au fond c’est l’un des messages principaux de Ayn Rand: pour elle, le capitalisme et plus généralement la libre entreprise sont un moyen pour la créativité humaine de s’exprimer; elle insiste sur la force de l’individu en tant que créateur et montre comment l’individu contribue à la société dans son ensemble. Mais face à ce capitalisme entrepreneurial, il existe également un capitalisme de copinage qui s’intéresse beaucoup plus à un partage inégal du gâteau qu’à la création de celui-ci, et qu’elle dénonce avec véhémence. Dans un système de copinage, il n’existe plus de système objectif pour établir les lois. Au contraire, les lois deviennent subjectives car elle sont écrites par ceux qui sont connectés au gouvernement.

Le lecteur ne peut manquer d’être frappé par la ressemblance avec la situation Russe, par exemple, où un marché en apparence relativement libre est, in fine, sous la coupe de quelques groupes proches du Kremlin. Mais la France n’est pas non plus épargnée: il est connu depuis longtemps qu’on y réussit plus en disposant d’entrées dans les ministères qu’en passant du temps avec ses clients. Lisez la presse économique et demandez-vous combien des entreprises qui y sont mentionnées quotidiennement doivent leur succès à leur proximité de l’Etat français? C’est cette connivence que dénonçait également en son temps l’économiste français Frédéric Bastiat dans ses écrits, et notamment ses sophismes. 150 ans après, ces dénonciations restent d’actualité.

La vidéo de Jennifer Burns ici (6 minutes, en anglais sous-titré). Voir également la note de l’excellent blog de philosophie Nicomaque sur le thème du capitalisme de copinage.

Mon billet sur le roman “La grève” ici. L’ouvrage est publié aux Belles Lettres. Lien Amazon ici