L’oligarchie des incapables ou pourquoi mon chauffeur de taxi pense que Sernam doit rembourser l’argent

Le hasard a fait que je me suis trouvé dans mon taxi habituel alors que la radio évoquait le cas de SERNAM. Or que je lui demandais comment allaient ses affaires, le chauffeur m’a listé ses charges en regard de son chiffre d’affaire. En gros, il lui reste 1.100 euros nets par mois et il travaille comme un fou. Il paie plus de 2.500 euros de charges sociales par mois. L’équation financière ne tient pas et il attend la première occasion pour vendre sa licence et aller à la pêche. Ambiance. Et SERNAM donc… Très mal en point, cette société de transports de colis issue de la SNCF doit être reprise par le transporteur Geodis. Mais une demande de Bruxelles de rembourser 640 millions d’euros d’aides jugées illégales menace de faire tout capoter. Si SERNAM doit rembourser les 640 millions d’euros, l’entreprise ne sera pas reprise par Geodis et 1600 employés seront licenciés. Ces licenciements seront donc la faute de Bruxelles. Annuler cette dette permettrait la reprise par Geodis et la sauvegarde de 650 emplois. Quand on connait la situation de l’emploi en France, comment hésiter une seconde? Ça, pour reprendre l’expression de Frédéric Bastiat, c’est ce qu’on voit.

Ce qu’on ne voit pas, c’est ceci: SERNAM est depuis 2005 une entreprise privée, propriété d’un fonds d’investissement et des ses cadres, dont le PDG. Au nom de quoi l’entreprise a-t-elle reçu 640 millions d’euros? En fait, SERNAM est le parfait exemple de la collusion qui peut exister entre des intérêts privés et le gouvernement. Parce qu’ils ont les bons appuis politiques, et parce qu’ils agitent l’épouvantail pratique de la perte d’emploi, les propriétaires réussissent à obtenir des aides publiques qui servent leurs intérêts privés. Quand l’Etat paie les salaires à la fin du mois, ce n’est pas dur d’être dirigeant d’entreprise: même Mickey Mouse y arriverait. Et 640 millions d’euros ce n’est pas rien. Il faut bien les prendre quelque part, et là pas d’erreur possible: on les prend à ceux qui, dommage pour eux, n’ont pas d’appuis politiques pour les défendre. Et c’est là que je ne peux manquer de faire le lien avec les malheurs de mon chauffeur de taxi. Saigné à blanc par les charges sociales, personne ne vient payer ses chèques à la fin du mois, contrairement à SERNAM. Donc la première chose que l’on ne voit pas est la suivante: chaque fois que l’Etat donne de l’argent à un acteur économique, il trouve cet argent en le prenant à d’autres acteurs économiques moins à même de défendre leurs intérêts. C’est le règne de l’arbitraire, de la collusion et de la loi du plus fort.

En outre, ces 640 millions d’euros pourraient être mieux utilisés ailleurs. Imaginons – pur fantasme, nous sommes en France rappelons-nous – que SERNAM soit abandonnée à son triste sort: la société est liquidée et les salariés licenciés. Imagine-t-on un seul instant que les colis cesseraient d’être distribués? Point. Une myriade d’autres sociétés et d’entrepreneurs prendraient immédiatement la relève, certainement de manière plus efficace, et devraient probablement embaucher pour répondre à l’augmentation de leur volume de travail. Sur les 640 millions d’euros ainsi économisés, une partie pourrait aller au reclassement des employés, et une autre irait vers des investissements productifs. La deuxième chose que l’on ne voit pas est la suivante: chaque fois que l’Etat donne de l’argent à un acteur économique non performant, cet argent n’est pas utilisé ailleurs où il serait plus productif. Il pourrait même – songez-y, ne pas être dépensé du tout.

Dernier point, on pourrait se demander pourquoi Geodis – groupe public filiale de… la SNCF – est soudainement candidate à une reprise qu’elle a toujours exclue. L’entreprise travaille-t-elle sur ordre du gouvernement pour éviter un plan social fâcheux en pleine campagne électorale? L’hypothèse est ouvertement évoquéeTroisième chose que l’on ne voit pas: lorsque des fonds publics sont utilisés pour sauver une entreprise privée, ces fonds ne servent pas uniquement les intérêts privés, mais également et peut-être surtout ceux des politiques qui les octroient. Echanges d’intérêts bien compris. Bonne chance aux employés de SERNAM une fois les élections passées.

En résumé, le capitalisme français se résume à la capacité de chacun des acteurs à octroyer et obtenir les faveurs de l’Etat. Il y a 160 ans, Bastiat dénonçait déjà la collusion du pouvoir avec des intérêts privés. Depuis, rien n’a changé. Ces 640 millions d’euros accordés à SERNAM ont été pris à mon chauffeur de taxi ainsi qu’à chacun d’entre nous. Ils nous ont été pris pour être donnés, sous le prétexte bien commode mais fallacieux de sauver l’emploi, à un petit groupe de gens qui n’ont rien fait pour les mériter, qui font tout pour les garder, sur la seule base de leur accès au pouvoir politique. Ils ont raison d’essayer, ne leur en voulons pas. Mais nous avons le devoir de leur refuser, ils ne pourront nous en vouloir. Donc on vous dira « C’est Bruxelles qui tue l’emploi français » et il faudra entendre « Bruxelles empêche que notre argent nous soit volé pour être donné à des gens qui ne le méritent pas et qui ne savent pas gérer une entreprise ».

Qu’ils rendent ces 640 millions d’euros.

Note: on lira avec profit, sinon avec bonheur, le livre de Sophie Coignard, l’oligarchie des incapables, qui a inspiré le titre du présent billet. Sur le silence qui a entouré ce livre, lire l’article de Mediapart. Voir l’article de l’excellent blog philosophique Nicomaque sur le capitalisme de copinage et la recherche de rentes.

Mise à jour: Même Le Monde trouve la ficelle un peu grosse: Sernam, retour à la case départ.

14 réflexions au sujet de « L’oligarchie des incapables ou pourquoi mon chauffeur de taxi pense que Sernam doit rembourser l’argent »

  1. Cet article manque de rigueur :

    – sur le SERNAM : il n’y a pas eu d’oligarchie pour donner 642 M€ d’argent du contribuable à un capitaliste privé ; il s’est trouvé qu’en 2002 la SNCF propriétaire du SERNAM n’a pas su/voulu/pu gérer la disparition de cette entreprise qui était en faillite et a dû d’abord la restructurer tres lourdement pour avoir une chance de lui trouver un repreneur. Pour autant après cette reprise le SERNAM n’a jamais été bénéficiaire ; étant en dépôt de bilan début 2012 il n’aurait pas été capable de rembourser quelque aide que ce soit . Au final il n’a pas survécu et c’est finalement GEODIS filiale de la SNCF qui a repris environ 60 % des salariés. Sans doute l’Etat à travers la SNCF s’est-il certainement obstiné à défendre une entreprise publique pas concurrentielle aux dépens du contribuable mais il n’a pas donné 642 M€ à des interêts privés.

    – sur le chauffeur de taxi : si la situation de ce metier était aussi terrible pourquoi les plaques de taxi se vendent-elles encore ? Parmi ses charges il compte le remboursement de l’emprunt qu’il paie pour sa plaque , et qui est une épargne. Par ailleurs êtes vous vraiment sûr qu’il déclare toutes ses recettes ? Dans les transactions en liquide il arrive qu’on oublie de déclarer la TVA. J’irais jusqu’à dire que c’est une hypocrisie administrative.

  2. Les millions ne sont pas pris au taxi, ils sont volés sous forme d’emprunts qui ne seront pas remboursés. Tout va bien…

  3. Bonjour
    Je vous invite à lire l’article de « L’officiel des transporteurs N° 2637 du 23 Mars 2012 ».
    Vous allez peut être comprendre de quoi vous parlez.
    J’ai lu certains article de votre blog, et je comprend pourquoi vous les parisiens être déconnecté de la réalité. de la France des régions.

  4. Bonjour Mr Silberzahn,
    Il aurait fallut vous renseigner beaucoup avant de parler de choses que vous avez lu dans les journaux , et dont vous nous en faite la synthèse ici.
    A l’époque c’était 500 millions et tout d’un coup « magie, magie » cette somme se transforme en 642 millions.Bizarre vous avez dit bizarre …..
    A votre avis je vous pose la question qu’est ce donc ces 500 millions?
    Revenez donc aux années 90 et regardez bien la dette sociale de toutes les entreprises privées comme publiques……..
    je vous parle d’un super grand groupe d’hyper marché, hyper endetté malgré le chiffre d’affaire qui dépasse le milliard d’euro.Et dès que l’on commence de leur parler de la dette sociale , ils menacent de licencier.
    2 poids 2 mesures?
    Sur votre article, je dirais, peut mieux faire, avant de parler de choses que vous ne connaissez pas , faites donc un travail d’investigation.

    1. Bonjour
      Le ‘vous ne connaissez pas le dossier’ est une technique rhétorique très classique à laquelle il ne faut pas se laisser prendre. Les faits sont simples: de l’argent public sert des intérêts privés aux dépends de la collectivité.
      Rendez l’argent.

      1. Bonjour
        J’espère que vous exigez un peu plus de vos élèves.

      2. En fait non, je me contente de très peu: la vérité, pas de sophisme, des exemples concrets, une théorie solide, un rien me suffit.

        Bien à vous
        Ph

  5. Bonjour,

    Article purement idéologique, il fallait se renseigner sur le dossier avant de l’écrire…

    Les aides en question remonte à la période, 2000-> 2005 ou la Commission a considéré l’argent donnée par la SNCF à sa filiale(SERNAM) sur un marché libéralisé comme une aide d’état détournée.

    D’autre par une société en RJ n’a pas de trésorerie, une amende de 220% du Chiffre d’affaire (~300 m€ CA 2011 de sernam) est aberrante car impossible à rembourser.
    On peut dans ce cas se poser la pertinence de la privatisation en 2005 d’une société ayant une telle épée sur la tête. mais la SNCF a bien voulu la privatiser et sous-traiter le dégraissage au passage de plus de 5000 employés à 1600 aujourd’hui voir zéro demain.

    il fallait arrêter l’activité déficitaire mais réintégrer le personnelle en 2005 à la place de privatiser une société structurellement déficitaire.

    Comme vous avez dit : c’est ceci, que vous voyiez pas ou que vous ne voulez pas voir.

    1. Donc je résume, il ne faut infliger d’amende qu’à ceux qui peuvent payer, sinon c’est « aberrant »? Il s’agit effectivement d’une aide détournée, et cette aide publique sert des intérêts privés, biaise la concurrence en faveur d’une grosse société qui sait obtenir des faveurs.
      Rendez-moi mon argent, je veux bien être idéologue.

  6. je suis desoler mais avant d’arrive a 640 MILLIONS d’euro on aurai pus voir le mal avant donc ne jetons pas la pierre au salarie de la serman car je pense qu’il n’etait meme pas au courant de tout ce qui ce passe ms l’etat est un acteur principal de ce dereglement financier alors que l’etat assume sans que les petit contribuable ne paie

    1. Ce qui est curieux dans votre réponse, c’est que vous dites « ne jetons pas la pierre au salarié ». Comme si la mise en liquidation était une sanction contre le salarié. Alors qu’il s’agit d’un acte technique lié au dysfonctionnement d’une entreprise.

      Il n’y a rien de « personnel » ni aucun jugement la dedans. On peut a l’inverse se demander si c’est leur rendre service que de les laisser continuer a travailler dans une entreprise qui semble moribonde (je ne connais pas le dossier, mais c’est l’impression que ça donne). Finalement, le mieux que l’on pourrait faire, c’est de les aider réellement à trouver un job ailleurs.

  7. Tout cela est juste, mais je pense que la conclusion embraye dans une direction dangereuse.

    Le problème le plus grave de ces 640 millions, ce n’est pas d’avoir été pris a quelqu’un, c’est d’avoir distordu la concurrence. Bastiat – pour ce que j’en ai compris – attache assez peu d’importance a l’argent lui même. Il ne voit par exemple pas d’inconvénients à avoir du déficit extérieur. Mais il s’oppose aux distorsions artificielles de concurrence.

    Un esprit un peu simple lisant l’article pourrait en déduire : « Mais bien sur, récupérons l’argent, et créons un allègement de charge pour les pauvres taxis ». Ce qui serait a l’opposée de la pensée de Bastiat.

    Tel que je l’ai compris, Bastiat dirait :
    * A la Sernam : Rendez les 640 Millions, vous n’auriez jamais du en bénéficier
    * Au chauffeur de taxi : changez de métier, ça n’a aucun sens de travailler comme un fou pour 1100 € par mois. D’ailleurs, vous prenez peut-être la licence de quelqu’un d’autre, qui serait plus productif, et gagnerait plus en travaillant moins (en analysant mieux les horaires les plus rentables, les lieux avec les meilleures courses, etc…).
    * et les 640 millions ? Remboursons déjà les dettes de l’état, on verra après.

    Bref, il me semble que c’est un travers de la « proposition libérale » que de prétendre qu’elle a pour but ou conséquence de baisser les taxes. D’une part parce que c’est faux, elle a pour seul but de libérer, d’autre part parce que ça y attire une population de « profiteurs / anti impôt / anti sociaux » qui en fait, recherche surtout son propre intérêt de court terme. Et n’est finalement pas si différente des dirigeants qui cherchent continuellement les subsides de l’état.

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