L’entrepreneur et ses premiers clients: L’approche par la co-création

En incertitude, comment savoir quel produit il faut développer parce que l’avenir est imprévisible. Comment avancer? Les visionnaires miseront tout sur leur idée. Mais les autres adopteront une démarche dite de “co-création”. 

L’établissement d’une relation avec son ou ses premiers clients est l’une des choses les plus difficiles, mais les plus importantes, pour la réussite d’un projet entrepreneurial. L’effectuation (voir ma présentation de l’Effectuation ici) recommande aux entrepreneurs d’entrer le plus tôt possible en action, en partant du principe que seule l’action est véritablement source de nouveauté. Elle recommande également de susciter l’adhésion des parties prenantes à son projet, car seule cette adhésion crée une dynamique et démontre la viabilité du projet.

Un exemple simple permet d’illustrer l’intérêt de ces deux principes combinés. Imaginez que vous être dirigeant(e) d’une startup, et que vous venez de passer plusieurs mois à développer un produit. Disons un gadget un peu compliqué, de couleur verte. Dès la disponibilité du produit, vous décrochez un rendez-vous chez un client que vous ciblez depuis le début. La réunion se déroule plutôt bien, la démo fonctionne, le client est intéressé. Finalement, il conclut: « Votre produit est très intéressant. Je suis prêt à le prendre, mais il me le faudrait en bleu, pas en vert. »

Que faites-vous? Vous avez en fait quatre possibilités.

  • 1ère possibilité: vous retournez voir votre ingénieur et lui demandez de modifier le produit en vert. Cela prendra un peu de temps, consommera des ressources, mais après tout, le client est roi, non? Et puis ce n’est pas grand chose, on peut retourner le voir d’ici deux mois, rendez-vous est pris. Nous sommes là dans le paradigme de l’adaptation ou de l’apprentissage sur la base de l’expérience. L’entreprise réagit aux données de son environnement, adapte son offre ou son fonctionnement, et revient à la charge.
  • 2ème possibilité: vous concluez que le client n’est pas la bonne cible pour le produit bleu. Vous réfléchissez à comprendre pourquoi, et identifiez une nouvelle catégorie de clients qui, eux, seront intéressés par le gadget vert. Vous laissez tomber le premier client, et partez visiter ces derniers. Le paradigme est ici celui de la segmentation: être capable d’identifier les clients qui vont être intéressés par nos produits. Ce paradigme est celui des ouvrages classiques de marketing.
  • 3ème possibilité: vous estimez que votre client n’a rien compris; que l’avenir est au gadget vert; que bleu est stupide et n’a aucun avenir. Malgré le refus du client, vous persistez. Vous revenez à la charge. Vous écrivez des éditoriaux dans les journaux, musclez votre budget communication, faites parler des experts pour défendre et promouvoir l’idée d’un gadget vert, et non pas bleu. Nous sommes dans le paradigme visionnaire.
  • 4ème possibilité: vous êtes d’accord sur le principe de modifier la couleur du gadget, mais vous êtes conscient des coûts et du délai. Vous êtes surtout conscient que lorsque vous reviendrez avec le gadget bleu, votre client aura peut-être changé d’avis. Peut-être même qu’il aura changé de poste, et que son successeur ne croira lui qu’aux gadgets rouges, et en matière recyclable, en plus. Vous décidez donc de vous engager dans la modification du produit à condition que le client s’engage lui, de son côté, d’une manière ou d’une autre. Par exemple en vous garantissant une commande ferme dès que le gadget bleu est disponible. Ou en vous mettant un ingénieur à disposition. Ou en vous avançant des fonds. Le paradigme ici est celui de la co-construction.

Cette expérimentation appelée « Grue » – le mot provient du mélange « Green-Blue » (ou vert-bleu)- montre l’intérêt de la co-construction. L’engagement du client (il consomme des ressources, donc il démontre sa motivation) garantit son intérêt pour le futur produit, et garantit également que ce futur produit correspond bien à un besoin, puisque le client paie déjà pour cela. Le contrôle que vous obtenez diminue dès lors la nécessité de prédire l’avenir du marché pour les gadgets verts ou bleus. Avant la démarche de co-création, le gadget est dans un état indéterminé: il est à la fois vert pour vous (green) et bleu (blue) pour le client. La démarche de co-création permet de déterminer sa couleur finale; l’incertitude est levée non par la prédiction, mais par le contrôle que deux acteurs décident d’exercer conjointement sur l’avenir. Au lieu de dire « Je dois prédire l’avenir pour le contrôler », l’entrepreneur dit « Je dois contrôler l’avenir pour ne pas avoir à le prédire. »

📖 Cet article est extrait de mon ouvrage d’introduction: Effectuation: les principes de l’entrepreneuriat pour tous.

➕ Cette approche a des limites, voir mon article La co-création par l’entrepreneur avec les premiers clients mène-t-elle à une impasse?

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6 réflexions au sujet de « L’entrepreneur et ses premiers clients: L’approche par la co-création »

  1. Il y a une coquille dans le texte : « 1ère possibilité: vous retournez chez votre ingénieur et lui demandez de modifier le produit en VERT » => plutôt en BLEU sinon c’est qu’on a vraiment mal écouté le client ! 🙂

    C’est clair que le principe de co-création se rapproche des méthodes agiles en informatique type SCRUM.

  2. Bonjour,

    Pensez-vous que le « crowdfunding » peut-être considéré comme une application de la théorie de l’effectuation?

    Voici comment je le vois: le créateur propose une idée au public, celui donne son avis et eventuellement investi dans son projet s’il en est convaincu. Il peut aussi investir par la suite, une fois que le créateur aura apporté les modifications qu’il avait suggéré. Les parties prenantes ont donc un grand rôle à jouer et la « chose » à construire reste vague et ouverte au changement.

    Si l’idée ne donne rien, ce n’est pas grave. Il n’aura quasiment rien investi. En revanche, si l’idée aboutit, les bénéfices peuvent être considérables.

    Qu’en pensez-vous? Je réalise en fait un mémoire de fin d’études sur la théorie de l’effectuation appliquée à des créateurs ayant eu recours à un microcrédit. Il s’agit donc d’une population avec des moyens financiers rès restreints, qui doivent mettre à profit tous leurs autres moyens.

    D’avance merci pour votre réponse

    1. Bonjour
      Merci de votre commentaire. Le fait de solliciter une partie prenante et de l’inciter à s’engager dans le projet en apportant des ressources, financières en l’occurance ici, est effectivement l’un des principes de l’effectuation. Si l’engagement se limite à l’apport de fond, cependant, quelqu’utile cela soit, on reste un peu loin de l’effectuation qui s’appuie sur cinq heuristiques que le crowdfunding ne couvre pas.
      Mais la question est intéressante à explorer!
      Ph S.

  3. Bonjour,

    Cette démarche me semble particulièrement adaptée également aux sociétés de services (informatique pour ce qui me concerne). L’introduction d’un nouveau service passe en règle générale par un étape de formation. La co-construction peut tout à fait être envisagée dans une participation aux frais de financement desdites formation (c’est un exemple, bien sûr. Mais je suis actuellement en train de le mettre en place – à voir pour le succès).

    Mais plus encore, cette co-construction peut s’inscrire dans un programme d’amélioration/d’innovation/de production continue.

    Cordialement,

    Guillaume

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