Effectuation, innovation et design thinking: La question difficile du rôle des utilisateurs

En participant à la conférence IPDMC 2011 à l’Université de Delft, j’ai suivi une présentation essayant de lier l’effectuation et le design thinking. C’est un sujet important. Les deux partagent la notion de conception au sens large comme ancêtre, et notamment le travail de Herbert Simon. Une des questions qui est posée est le rôle des utilisateurs dans le processus d’innovation. Roberto Verganti, dans le discours d’ouverture de la conférence, rappelait les risques qu’il y avait à écouter les utilisateurs dans une démarche d’innovation radicale. Clayton Christensen avait en effet déjà montré comment écouter les utilisateurs (ou ses clients) ramenait inexorablement à l’innovation incrémentale au dépend de l’innovation radicale. Le design thinking a conscience de cette difficulté et essaie de la contourner en s’intéressant non pas à ce que disent les utilisateurs, mais à ce que le designer comprend du besoin de cet utilisateur. L’hypothèse est que la difficulté provient de la formulation de son besoin par l’utilisateur; il existe, en quelque sorte, un besoin réel que l’utilisateur n’est pas capable d’exprimer et c’est au designer de faire accoucher ce besoin. Une maïeutique industrielle en quelque sorte. Or les recherches en innovation montrent que c’est souvent beaucoup plus compliqué que cela. En tout cas l’utilisateur est en quelque sorte vu comme son meilleur ennemi dans le processus d’innovation.
L’effectuation, qui théorise la démarche entrepreneuriale, montre au contraire que le marché est créé précisément par une démarche sociale auprès des parties prenantes, au premier chef desquels les clients (voir mon billet sur l’effectuation). On bute donc là sur une contradiction.
La contradiction est cependant résolue lorsqu’on remarque qu’il y a une différence entre développer un nouveau produit sur la base des indications des clients de nos produits actuels, ou de celles des clients potentiels pour le nouveau produit, et travailler avec eux pour créer le-dit produit. Ce que l’effectuation montre, ce n’est pas qu’il faut consulter les clients potentiels, mais co-constuire le produit avec eux (une idée que développe également Eric Von Hippel avec la notion de « lead user » ou utilisateur pilote). La différence est fondamentale: dans le premier cas, le client donne un avis sans en subir les conséquences, ça ne lui coûte rien, tandis que dans le second cas, il s’engage dans le développement. Cet engagement peut prendre diverses formes: pré-payer le produit, mettre des ressources à disposition, investir de l’argent dans le projet, etc. Mais l’engagement des parties prenantes est fondamental. C’est ce qui différencie une étude de marché – qui est une contradiction dans les termes pour les marchés qui n’existent pas encore – y compris dans sa version sophistiquée qu’est le design thinking, et une démarche entrepreneuriale de création de produit et de marché. L’engagement, et la co-création, rendent en effet inutiles les études de marché. Plutôt que de prédire ou de deviner ce que les clients ont en tête, les entrepreneurs travaillent avec eux pour inventer les produits et marchés du futur.

Une réflexion au sujet de « Effectuation, innovation et design thinking: La question difficile du rôle des utilisateurs »

  1. Bonjour, merci pour vos articles.
    Comme vous l’avez si bien dit dans une autre note « Les entrepreneurs ne cherchent pas à prédire l’avenir, ils le construisent. »…vous rajoutez ici co-construction…voilà !…Maintenant tout est dit 🙂

    Encore faut il le vivre, le ressentir, l’expérimenter…là est la véritable difficulté et complexité dans cette démarche.
    Maintenant, je ne suis pas sûr que les 2 démarches soient non compatibles…en tout cas chez les entrepreneurs…
    Bien à vous

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