Être plus innovant: Le mythe de la boîte à idée

Les mythes ont la vie dure et parmi les mythes les plus durables de l’innovation figure celui de la boîte à idée. Nous ne sommes pas assez innovants? Créons une boîte à idée où chacun pourra faire part de l’idée qui améliorera nos performances, voire transformera notre entreprise en leader dans son domaine ou, mieux encore, lui ouvrira de nouveaux horizons. J’ai ainsi rencontré récemment deux très grandes entreprises, l’une dans un secteur technologique, l’autre dans celui du service, qui avaient mis en place un tel système. Bien sûr, l’informatique permet désormais de créer des boîtes à idées ultra-sophistiquées: un système à base de Web au design sympa ou l’administrateur peut suivre les suggestions en temps réel, organiser des votes, classer les suggestions, calculer des statistiques, etc.

La boîte à idée est indéniablement intéressante à plusieurs égards: d’abord elle permet effectivement de collecter des idées intéressantes qui peuvent dormir au sein des équipes. Ensuite, elle peut créer un sentiment collectif autour de l’innovation en montrant clairement que l’entreprise souhaite innover et qu’elle compte sur ses employés pour cela. L’effet d’émulation peut aussi jouer au niveau individuel comme au niveau des départements et unités d’affaire (vous avez vu la compta? Pas une idée depuis un mois!)

Malheureusement, les entreprises découvrent rapidement les limites d’un tel système. Premièrement, l’expérience montre que la plupart des idées soumises entrent dans la catégorie des améliorations incrémentales. Ces petits plus qui améliorent la performance de l’entreprise de manière limitée: mettons des chaussons en tissu sur nos chaussures quand nous entrons chez nos clients pour ne pas salir la moquette. Ouah… Intéressant, mais pas révolutionnaire. Deuxièmement, l’une des entreprises avec lesquelles je travaille me disait que les idées sont souvent du réchauffé: elles traînaient depuis des années dans un placard. Certes le système offre une chance qu’enfin elles deviennent réalité, mais là encore, peu probable que l’entreprise en tire un avantage révolutionnaire. Troisièmement se pose le problème de la gestion: comment classer les idées? Comment décider lesquelles poursuivre, et sur quels critères? Le pire qui puisse arriver dans un tel système est le manque de suivi de la part de la direction. Pour ceux qui auront soumis des idées, ne pas les voir suivies est une garantie de démotivation et de désillusion, le résultat étant pire qu’avant l’instauration de la boîte à idées. En particulier si les critères de décision en sont pas clairs et acceptés. Le risque pour la direction est de perdre toute crédibilité et de faire apparaître la boîte à idée comme une simple opération de communication interne. Outil collectif, la boîte à outil ne peut fonctionner que si une gouvernance appropriée est mise en place et si les idées soumises sont effectivement mises en œuvre.

Mais au-delà, la boîte à idées reste un mythe. Ce dont souffrent les entreprises n’est pas le manque d’idées. Les équipes en regorgent et en produisent chaque jour. Ce dont les entreprises souffrent c’est d’étouffer systématiquement ces idées. C’est donc un problème de management, pas d’idée: comment traduire la créativité individuelle, qui existe toujours et ne demande qu’à se réveiller, au niveau collectif et surtout en des réalisations concrètes? A cet égard, la boîte à idée est un outil sympathique mais il est illusoire de penser qu’elle résoudra le problème d’innovation de l’entreprise: elle ne travaille que sur le symptôme, pas la racine du mal dont souffre le patient. Au mieux elle n’est qu’une composante – je pense mineure – d’un système que l’entreprise doit mettre en place pour mieux innover. Comme me confiait le responsable de l’innovation de la société de service: « Tout le monde sait qu’il faut innover, plein d’idées ont été soumises au lancement du programme, et puis voilà, rien ne se passe derrière et chacun est retourné à son quotidien… » En créant sa boîte à idée, cette entreprise a accompli le premier et le plus facile pas d’un long cheminement pour devenir innovant, et les difficultés ne font que commencer…

Plus sur le sujet: voir mon billet récent sur le désir universel de création, et sur ce que nous enseigne Vaclav Havel sur le manque d’innovation dans les grandes entreprises.

5 réflexions au sujet de « Être plus innovant: Le mythe de la boîte à idée »

  1. Bonjour,

    Vive l’internet.. on peut retrouver des articles intéressants quelques années après leur publication. 🙂
    Très bonne analyse.. le problème numéro un reste la conséquence de la recherche d’une efficience maximale qui fait qu’il n’y a plus de temps morts pendant lesquels imaginer et tester les innovations au niveau individuel (celui visé par les boîtes à idées).

    Phil. B.

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