Croissance des PME: pour en finir avec le plafond de verre

Je réagis à l’excellente tribune d’Emmanuel Leprince, délégué Général du Comité Richelieu, parue dans Les Echos du 23 août dernier. Emmanuel reprend un thème qui lui est cher, et qui devrait nous l’être à tous: l’incapacité de la France à générer de nouveaux leaders mondiaux. Il part en effet du constat que les entreprises françaises les plus performantes sont anciennes, et par là même reflètent plus une période passée, celle où l’on savait créer des géants, qu’un véritable dynamisme industriel. En gros, le CAC40 et le désert français. Il s’agit donc de savoir comment remédier à cette situation quand dans le même temps les Etats-Unis créent Google, Microsoft et on en passe, mais aussi, plus inattendu, le Mexique, le Brésil, la Chine et l’Inde commencent eux aussi à produire des champions globaux.
Sans surprise, Emmanuel critique la philosophie actuelle qui a amené à la création de l’Agence pour l’Innovation Industrielle en indiquant "Ce n’est pas en subventionnant avec de la dette publique de grandes entreprises profitables et qui n’ont pratiquement plus rien de français que l’on fera émerger en France le futur Google". Plus surprenant, et difficile à comprendre quand on connaît ses efforts pour faire créer un Small Business Act français, c’est à dire une loi obligeant les administrations à acheter aux petites entreprises, Emmanuel commence par une charge contre une tentation purement libérale qu’il qualifie de naïve. La solution, selon lui, n’est pas dans une diminution du rôle de l’Etat pour laisser jouer le marché, mais dans une meilleure organisation des aides.
La suggestion est alors la suivante: plutôt que de maintenir un système d’aides éparpillé, il faut "identifier aussi bien que possible, et en particulier sur la base des pôles de compétitivité, les quelques centaines de nouvelles entreprises détenant le potentiel de devenir leaders mondiaux dans leur domaine."
Une fois les heureux gagnants sélectionnés, il suffit de les arroser avec les aides auparavant distribuées trop largement. En effet, "il serait autrement plus efficace de coordonner ces mécanismes en un faisceau concentré sur celles dont le fort potentiel aura été reconnu."

Cher Emmanuel, et si cela était précisément la mauvaise solution? L’Agence pour l’Innovation Industrielle est une imbécilité, tout le monde semble à peu près d’accord sur la question désormais. Mais imaginer un système de labellisation peut être pire encore. Car naturellement, la question qui se poserait alors serait: qui labélise? Et sur quels critères? On retourne avec un tel système sur l’éternel problème des philosophes
politiques: qui gardera les gardiens? La véritable révolution
démocratique, qu’on eu tant de mal à admettre nos grands parents, est
que tout le monde se garde les uns les autres. Merci Montaigne.

Citer Google est particulièrement intéressant, car le cas de cette entreprise hors norme montre précisément les dangers d’une telle approche. Google a débuté en 1997 en arrivant bon dernier sur un marché que tout le monde estimait non seulement saturé, mais totalement sans intérêt. L’entreprise a été créé par deux professeurs nimbus sans la moindre notion de gestion, sans business plan et ils n’ont trouvé un business model qu’en… 2001!!! Jamais Google n’aurait été sélectionné comme "ayant un fort potentiel".
Nous savons trop comment, en France, on sélectionnerait les forts potentiels. On regarderait combien de polytechniciens et d’HEC se trouvent dans l’équipe, on aurait besoin de trouver un équivalent américain contre lequel il faudrait créer un champion français, et le Président de la République viendrait serrer les mains devant les caméras en disant "j’aime beaucoup ce que vous faites".

Rien ne serait pire qu’une centralisation des aides, qui reviendrait à inventer un monopole de la croissance forte dans lequel les gueux – les entrepreneurs sont souvent des gueux, surtout ceux qui finissent par réussir – n’auraient aucune chance. L’histoire récente a, au contraire, montré que ce qu’il faut, c’est maintenir une diversité des sources de financement, et en particulier encourager l’investissement privé. N’en déplaise à certaines élites bien pensantes, c’est en développant le marché, et en ouvrant le système, que nous pourrons créer un écosystème de futurs champions. C’est donc au contraire pour l’éparpillement qu’il faut militer. Qu’un endroit bloque, on pourra aller ailleurs.

4 réflexions au sujet de « Croissance des PME: pour en finir avec le plafond de verre »

  1. Philippe sait que l’exemple de Google m’est cher.
    Une anecdote intéressante à propos de ce cas d’école, relatée dans « The Search » de John Battelle : au démarrage de leur aventure, les deux créateurs de Google n’avaient pas les moyens d’acheter des serveurs. Ils ont du récupérer au sein de leur université des serveurs cassés, disparates, peu fiables et créer une couche logicielle permettant de tirer parti de cette infrastructure défaillante et hétérogène : un serveur casse, les autres se debrouillent pour prendre le relais.
    Quel est le résultat de cette contrainte aujourd’hui : le « computing cloud » de Google a écrit une nouvelle page de l’infrastructure informatique, derrière laquelle Microsoft et IBM sont à la traîne. Cela leur a donné un avantage concurrentiel énorme par rapport à leurs concurrents, en leur permettant de grossir à toute vitesse en contrôlant leurs coûts et en atteignant très vite le point d’équilibre, une fois le business model trouvé.
    Amazon est plus proche de Google sur cet axe que ces deux anciens géants et commercialise également son infrastructure comme un service.
    L’innovation nait de la contrainte. Arrosez des PME prometteuses trop tôt et vous les tuerez.
    Je suis d’accord avec Philippe : en phase de croissance, laissez faire le marché, il sélectionnera les meilleurs.
    Par contre, en phase d’amorçage, des solutions légères et largement distribuées sont intéressantes.
    La ville de Paris fournit par exemple aux start-ups un bureau, une connectivité Internet, des salles de réunion, un standard téléphonique pendant un 1 an non prolongeable.
    Faîtes cela largement, sans conditions préalables trop drastiques, pour favoriser le passage à l’acte des entrepreneurs, et laissez les voler de leurs propres ailes ensuite.
    A mon avis, pour devenir un leader mondial, il est plus utile de parler anglais et de savoir défendre de manière crédible son business plan auprès d’un fonds d’investissement américain, que d’être capable de passer les haies de la sélection de son dossier auprès de l’AII ou de toute autre structure technocratique qui lui succèdera.

  2. Merci Philippe pour cette réaction. Notre idée est en fait la suivante :
    1. le « chasm » cher à Geoffrey Moore est valable non seulement dans le domaine commercial, mais aussi dans ceux de l’accès aux investisseurs, aux banquiers, aux chercheurs ou à des ressources humaines clés. Tous sont composés de quelques primo-adopteurs et d’une majorité de pragmatiques qui ne sont prêts à coopérer qu’avec des entreprises déjà leaders. D’où le plafond de verre. A problème transverse réponse transverse. D’où notre suggestion de coordonner les dispositifs existants, c’est-à-dire mettre tous ces acteurs autour de la même table afin qu’ils se rassurent mutuellement. C’est-à-dire qu’ils fassent en même temps le choix des mêmes entreprises.
    2. Ceci ne nécessite pas forcément une sélection en amont. Je suis d’accord avec vos remarques sur les risques d’un tel dispositif. Mais la philosophie est tout de même de parier ensemble sur quelques entreprises.
    Accessoirement, nous commençons à prêcher pour le fait que l’on désigne une « Agence des PME », marquant ainsi la volonté de traiter ce sujet d’une manière globale et non émiettée. Le pari étant de ne surtout pas recréer une structure, mais au contraire de concentrer ce qui existe (rappel : autant de personnes soutiennent les PME américaines que leurs consoeurs françaises, 5 fois moins nombreuses).

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