Agence de l’Innovation Industrielle: quelques précisions utiles

Pour les heureux participants de l’atelier sur l’innovation organisé par l’ANRT le 9 mars dernier, le repas aura été un moment particulièrement intéressant. Pas tant pour des raisons culinaires que parce que le directeur de l’Agence pour l’Innovation Industrielle (un monsieur Havas je crois) avait accepté d’y prononcer un discours. Peu regrettèrent ensuite d’être venus.
En substance, nous a-t-il dit, l’AII est conçue pour soutenir des projets très ambitieux, sur lesquels elle met le paquet financièrement. Mais attention, il faut vraiment que ce soit ambitieux et que ça ait une chance de devenir leader au niveau mondial. Par ambitieux, le directeur entend « atteindre 10 à 15% de part de marché ». Glurps, un leader à 15% de part de marché? Mais ce n’est pas tout. Comme on mise sur des gens qui doivent devenir leader, on sélectionne des entreprises qui ont déjà une certaine taille, comprenez-bien. Seules, en effet, voyez-vous, les très grandes entreprises peuvent lutter à ce niveau, et c’est donc elles qu’il faut financer. Enfin c’est ce qu’on pense dans les hautes sphères françaises. Oh bien sûr, on exigera la présence d’une PME (entendez: 500 personnes c’est ce qu’ils appellent petit) pour décorer. En outre, comme il s’agit d’argent public, et que le directeur a clairement fait comprendre qu’ils étaient sérieux sur l’évaluation, il n’est pas question que l’AII finance des projets que les entreprises auraient fait toutes seules. Non, l’AII préfère financer des projets que les entreprises n’auraient pas fait sans elle. En outre, les programmes seront régulièrement évalués. Au moindre manquement, crac, projet supprimé: l’innovation n’a qu’à bien se tenir. Fini l’innovation en retard! Quels sont les sujets d’avenir sur lesquels miser? Là, le directeur est plus vague, mais il souligne l’importance de ne pas succomber aux effets de mode, de viser le long terme. Du sérieux vous dis-je, il est temps de mettre de la rigueur dans l’innovation! Et cette perle: « Imaginez qu’on découvre du pétrole en Alaska, ce ne serait plus la peine d’investir dans des voitures électriques ». On évacue discrètement trois personnes de la salle prises de syncope.

Je résume: un comité d’énarques, plus compétents semble-t-il que les investisseurs industriels, va décider de ce que sont les grands domaines d’innovation. L’AII signera de gros chèques pour des projets que les entreprises n’auraient jamais, dans leurs rêves les plus fous, songé à faire, mais là, vu qu’on leur paie, pourquoi se gêner. Là, j’ai osé une question en demandant au directeur comment, dans ces conditions, l’AII aurait évalué des gueux comme Google, Microsoft, Apple et Skype, démarrées par des types dans un garage. Réponse « Ah, mais des les TIC c’est différent ». Sauf qu’un des projets financés par l’argent du contribuable est un Google-bis, la seule différence étant que notre Google à nous n’a pas de business modèle – mais quand on est financé par le contribuable, pourquoi s’en soucier? Ils doivent bien se marrer dans la Silicon Valley…

On se rassurera donc: en France, rien n’a changé, Colbert est toujours aux manettes. Le changement et l’innovation ne peuvent venir que d’en haut, ils doivent être pilotés par l’Etat qui, chacun le sait, a tant réussi dans le domaine. Les mêmes qui hier ont investi dans Bull en ignorant Cap Gemini et Business Object nous refont le même coup; ils n’ont rien compris ni rien appris de leurs échecs. L’idée que l’avenir technologique n’est plus planifiable – s’il l’a jamais été – ne leur a toujours pas traversé l’esprit. Pas plus que l’idée que ce sont les startups qui innovent vraiment, et que celles-ci échappent au radar des technocrates. J’ai un ami qui dit toujours: « On a vingt ans de retard sur l’URSS, mais on le rattrape à grand pas ». Grâce à l’AII, le retard a été réduit d’au moins dix ans.

Sur le Google français, voir mon billet « Quo vadis Quaero« . Voir aussi « Deux fois plus bête« .

11 réflexions au sujet de « Agence de l’Innovation Industrielle: quelques précisions utiles »

  1. machine d’entrainement au golf avec mesures electroniques de la précision des swings à fabriquer.
    mais comment faire fabriquer en grandes séries dans ce pays? où trouver les partenaires industriels ? à l’étranger?
    ce pays est incroyable donc tout conseil sera pris au sérieux merci
    Michel cometto

  2. C’est bien ce que je disais, Philippe tu es de mauvaise foi, tu dis maintenant que les dispositifs pour aider le PME fonctionnent à merveille et tu es scandalisé à l’idée même que l’on puisse faire un machin pour les grands groupes. Les grands groupes ont un pouvoir de Lobbying voire parfois de corruption bien supérieur aux PME, ce n’est pas bete de faire une agence pour eux, ils en ont surement besoin, si cela amène plus de transparence c’est une avancée . L’AII semble être votre bouc émissaire. Pourquoi ne parlez vous pas des pôles de compétitivité?
    Je suis sûr que beaucoup de choses ne vont pas, ou n’iront pas à l’AII, mais pour les dénoncer il faut être mieux documenté et ne pas faire des procès d’intentions, là ta position est purement politique. Et cela contribue à fragiliser tes travaux, cela est flagrant avec les tirades contre l’AII, mais cela apparait aussi dans le livre objectif Innovation, lorsque on lit que les grandes entreprises américaines sont récentes dans des proportions inverses à la réalité.
    Tout ce que tu montres là c’est que la communication de l’AII n’est pas très bonne, voire franchement mauvaise. Le reste c’est de l’idéologie qui se contredit puisque OSEO fonctionne à merveille et que les PME françaises vivent au paradis.

  3. Les commentaires acérés de Philippe relèvent d’une analyse toujours remarquable (avec l’humour en plus) mais qui finissent, malheureusement, par être toujours plus représentative du malaise ambiant.
    Je souhaiterais préciser le point suivant : favoriser l’innovation, c’est aider l’entrepreneur à garder le monopole de ses développements pendant une période suffisante afin de lui offrir la motivation nécessaire à lui assurer un retour financier, conditionné à sa capacité à commercialiser son produit et dans le cas où celui-ci n’a pas les moyens techniques de protéger naturellement son innovation pour une durée plus longue.
    Or, c’est là où le bas blesse : l’Etat français n’aime pas accorder de monopoles « naturels », car les innovateurs ont une loyauté limitée envers les hommes de l’Etat (ceux ci préfèrent l’argent au pouvoir, quelle horreur). Incontrôlables, il devient politiquement inefficace de les financer. En revanche, les appareils étatiques favorisent la création et le maintien financier d’autres types de monopoles, artificiels car construits sur un jeu de décisions arbitraires et non soumis au principe de subsidiarité – de loin le plus efficace.
    De fait, l’injection de budgets R&D colossaux dans les grands groupes inféodés à l’Etat (il n’y avait pas que tonton Marcel) est le meilleur moyen pour ce dernier de contrôler par les réseaux une myriade de micro-monopoles (mais ils font le maximum en terme de gaspillage de budgets) facilement identifiables, stables dans leurs structures de serviteurs dociles de l’Etat.
    Il faut voir les choses en face : l’AII permet de pogressivement contourner le financement des centres de recherches comme le CNRS, dont les problèmes de planification créent d’autres problèmes tout aussi prégnants.
    Comme avant, c’est de l’eau dans du sable. On l’a compris, ce n’est pas l’innovation qui compte, c’est l’affichage marketing auprès du public : c’est ce que j’appelle « l’innovation citoyenne » (hihi, je vois bien un ministre lancer ce slogan), formule elliptique que j’affectionne, vous l’aurez compris.
    Nous sommes à mon avis en pleine oligarchie qui ne dit pas son nom.

  4. Il est inexact de dire que l’ANVAR ne fonctionne pas, au contraire. Digital Airways a reçu une aide de l’ANVAR qui s’est révélée très utile, avec un dossier relativement simple à monter et une expertise extrémement sérieuse et compétente… Si tout marchait aussi bien…

  5. Courage, fuyons !
    L’AII, à coût de milliards (et non de centaine de millions) ne fait que remplir les objectifs subliminaux du rapport Beffa (voir en son temps, mon commentaire ici même sur Innovation Tribune: Rapport Beffa : la potion magique ) :
    Tuer dans l’oeuf, par assèchements des financements publics, l’émergence de l’innovation et des start-up du XXI éme Siécle (Révolution Symbolique), à même de destabiliser les « sébillants » industriels amortis des 19éme et 20 éme siècles (Révolution « Industrielle »).
    Dans le même genre de Berezina et d’hospice, il convient aussi de remarquer à l’exposition du Sénat « les noms de l’innovation », la symbolique où le plus « récent » des représentés est … Marcel Dassault ….

  6. Vous êtes de mauvaise foi, je ne comprend pas pour vous focalisez sur l’AII alors que ce n’est qu’un machin pour les grand groupes. Que vous écoutiez les discours de Havas ou de Beffa c’est la même chose. C’est pas pour vous. Cela coûte au contribuables, certes, mais c’est un goute d’eau quelques centaines de millions alors que des dizaines milliards sont réduits en cendre par l’administration.
    Le problème n’est pas que l’AII existe (ou commence à exister), le vrai scandale c’est que l’ANVAR ne fonctionne pas bien.
    Vous battre contre des moulins cela ne sert à rien quand les vraies battailles sont ailleurs. Arretez de perdre du temps à parler de l’AII, s’il vous plait.

  7. Agence de l’Innovation Industrielle : la prochaine dérive ?

    La lecture d’un des billets d’Innovation Tribune écrit par Philippe Silberzahn aura peut-être raison de l’optimisme des anti-déclinologues.

  8. Je viens de téléphoner au SAMU car je suis également pris d’une crise de syncope en lisant la vision technocratique de l’Agence dite de l’innovation. Au secours la planification soviétique existe encore !

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