Rupture par le bas, l’exemple de Landwind, la « lada » chinoise

Le propre des ruptures par le bas, c’est de démarrer en étant méprisé par le haut. Clayton Christensen, dans son livre « The innovator’s dilemma », distingue en effet deux types de ruptures: D’une part, la rupture technologique, qui consiste à inventer un nouveau type de produit technologiquement très avancé et qui bouscule les autres produits. Le meilleur exemple de rupture technologique est l’iPod d’Apple. D’autre part, la rupture par le bas, qui consiste à attaquer un marché avec un produit simplifié et moins cher. En général, ce type de produit est aussi moins bien. Il est parfois même de qualité médiocre, au moins au début. Dans les années 70, les voitures japonaises étaient la risée des occidentaux: moches, simplistes et plutôt peu fiables. Mais elles n’étaient pas chères et n’imposaient pas à leurs acheteurs des options qu’ils ne désiraient pas. Elles ont donc ouvert un segment qui était de plus en plus frustré par les offres de l’époque, constitué des gens qui voulaient une voiture simple et pas chère. Avec le temps, les voitures japonaises se sont améliorées, jusqu’à définir les standards de qualité après lesquels les constructeurs occidentaux courent toujours. Il y a donc une règle quasi intangible: une rupture par le bas est toujours traitée par le mépris par les acteurs en place, et quand ils se réveillent, c’est trop tard.
A lire la presse ces derniers jours, il se pourrait bien que les voitures chinoises soient en train de suivre le même chemin. Il y a quelques mois, on annonçait l’importation des premières voitures chinoises. Réactions immédiates des « spécialistes »: ces voitures ne sont pas une menace pour les fabricants occidentaux, car leur qualité laisse à désirer. Mais ça n’a pas suffi car les premières voitures livrées sont parties comme des petits pains. On sort donc l’artillerie lourde, et l’on peut lire en ce moment un article du Monde où on nous dit que la Landwind, un tout terrain chinois, est en fait dangeureux. Sans rire, on nous explique même qu’elle devient mortelle à 64km/h. C’est peut-être vrai, mais cela n’empêche pas les clients de l’acheter – sont-ils bêtes; combien de temps les fabricants européens se berçeront-ils d’illusion? Progressivement, les chinois, comme leurs prédécesseurs coréens, et avant eux japonais, amélioreront la qualité de leurs voitures, et entameront leur remontée du bas de gamme vers le haut de gamme. Ca ne se fera pas en deux ans, mais durant cette période, ils peuvent largement s’installer dans un segment important et rentable, et en déloger les autres fabricants.

Mise à jour: Renault a depuis réagi en introduisant sa propre marque bas de gamme, Dacia. Voir mon billet sur la Dacia Logan.

11 réflexions au sujet de « Rupture par le bas, l’exemple de Landwind, la « lada » chinoise »

  1. Frank je veux bien admettre que les pays occidentaux ne respectent pas autant qu’ils le devraient et autant qu’ils le disent les droits sociaux et environnementaux. Mais tout de même les reglementations sont plus contraignantes ici, et les mentalités aussi. J’en veux pour preuve les conflits sociaux comme ce qui ce passe en France et en Belgique.
    (http://www.lesoir.be/rubriques/belgique/page_5718_374485.shtml)
    l’Europe vieillit et le fond de la question est de savoir si l’on cherche des solutions ou l’on veut cacher les problemes. Pour la Chine comment avoir un developpement moins destructeur et pour l’Europe comment avoir une démographie qui permette la croissance et une économie forte qui permette une protection sociale forte.
    Dans les deux cas il s’agit d’integrer les coûts du developpement actuel et non pas le faire supporter aux generations futures (par une dette importante et des pays en faillite ou par des destructions environnementales et sur la santé importante).

  2. Je suis tres content d’avoir lu ce petit exposé de Philippe Silberzahn sur les cas de rupture. C’est un des rares discours réalistes que j’ai pu trouver sur les voitures chinoises.
    De tous cotés je vois des articles ou l’on tente de mettre en pièces leur crédibilité et je suis ravi de trouver un personne de bon sens. La pénétration du marché a été lancée et le développement est inévitable.
    J’ajouterai ceci: le fait est que nous évoluons dans une économie de marché, régie par la loi de l’offre et de la demande. Les chinois sont capables de proposer une offre valable et peu onéreuse face à une demande européenne qui s’appauvrit.
    Effectivement les chinois sont peut etre loin de respecter le droit du travail, les droits de l’homme…, mais nous nous voilons la face. Ce qui inquiète aujourd’hui le consommateur européen, vue la conjoncture expliquée par nos médias, c’est son futur immédiat, manger, faire des économies.
    Donc il y a toute une population qui s’intéresse largement à ce genre de véhicules et qui comprends également l’intérêt des lobbies automobiles européens à freiner l’entrée des voitures chinoises, comme ils l’ont fait avec les japonaises.
    Enfin la situation actuelle n’est qu’une phase préliminaire. Des améliorations seront apportées, celà ne fait que 2 mois que les premiers véhicules sont présent en Europe et vu le battage médiatique et la capacité d’adaptation de la Chine, je ne serais pas surpris de voir un niveau de qualité équivalent aux standards européens d’ici à 5 ans.
    J’ai pu voir le Landwind au Salon de Francfort, la perfection n’est pas encore là comparée à un ML ou un Touareg, mais nous avons pris le train en marche et participerons à sa commercialisation.
    « Le jour ou l’empire du milieu se réveillera, le monde commencera à trembler! » Je ne sais plus à qui on doit cette citation mais sans nul doute un visionnaire.
    Fabrice

  3. >en exploitant à outrance ses ressources naturelles et polluant son environnement,
    >en exploitant les petites mains, en ne respectant pas la santé et les droits des travailleurs,
    >en ne respectant pas les droits de l’hommes,
    >en ne respectant souvent pas la PI,
    >bref en n’ayant pas les même règles du jeu…
    Pas de naïveté. Le respect est sensiblement le même. Qu’il est rassurant de s’offusquer de la paille dans l’oeil du voisin !
    Le respect qu’a dans la pratique la Chine sur ces points est très proche de celui des pays les plus développés.
    Je ne veux pas dire par là que la Chine a un grand respect de ces points; je veux dire que celui des principales puissances économiques est très inférieur à ce qu’elles revendiquent.
    La grande différence est sur la communication qui en est faite… …et cela sert aujourd’hui les intérêts chinois de revendiquer une certaine « brutalité » sur ces points.
    Si la boutique « Chine » veut rendre crédible ses différences de coûts de production, elle a intérêt à ne pas trop décorer le hall d’entrée.
    Mais la raison de la démission « fabless » de l’occident est-elle vraiment la réduction des coûts de production ?

  4. Il n’y a pas de miracle, et j’ai tendance à penser que comme dans le cas japonais, cela peut s’équilibrer de deux façons:
    – la façon 1935: jeune puissance, on veut montrer ses muscles
    – la façon 1993: fin de phase de croissance trop forte bâtie, comme tu le soulignes, sur de profonds déséquilibres; un jour ça craque, on a une crise financière, des mouvements sociaux que l’on sait – démocratie – ou pas – dictature – gérer.
    Ca veut dire que de notre côté il faut raison garder et analyser froidement les forces et faiblesses de la Chine… et éviter les grosses déprimes.

  5. Il est vrai que « la rupture par le bas » chinoise risque d’être d’une très forte ampleur, vu les investissements industriels et de R&D la technologie chinoise va progressivement ratrapper et dépasser l’Europe. Mais il ne faut pas perdre de vue la façon dont la Chine construit cette offre à bas coûts: en exploitant à outrance ses ressources naturelles et polluant son environnement, en exploitant les petites mains, en ne respectant pas la santé et les droits des travailleurs, en ne respectant pas les droits de l’hommes, en ne respectant souvent pas la PI, bref en n’ayant pas les même règles du jeu…
    La question est donc savoir comment ces déséquilibres vont s’équilibrer. Est ce que la démocratie, les droits de l’homme, le développement durable vont pénétrer la Chine du fait des meilleures conditions matérielles, des technologies de l’information et de la communication et de l’augmentation des savoirs? Ou au contraire ne va t on plus pouvoir se payer le luxe de protéger les libertés individuelles et la santé et l’environnement du fait d’une telle concurrence?

  6. Rupture par le haut et rupture pas le bas

    Je m’inquiétais il y a quelques jours de l’attentisme des constructeurs automobiles français concernant les nouvelles formes de motorisation et les innovations technologiques. Aujourd’hui, je viens de voir sur l’excellent blog Innovation Tribune de Phi…

  7. Exact pour l’iPod! C’est une rupture par le haut plus par le positionnement « haut de gamme » qui laisse supposer une supériorité techno, mais effectivement dans cet exemple précis il n’y a guère de supériorité que du design.
    Quant aux voitures chinoises, elles sont effectivement souvent copiées, mais les japonaises l’étaient aussi beaucoup…

  8. Que l’iPod soit « meilleur exemple de rupture technologique » est très discutable. Que ce soit un succès, que ce soit un objet au design soigné, qu’il opère une rupture dans les usages, certes. Mais le « meilleur exemple de rupture technologique » cela dépend à quel stade on place son analyse. Les lecteurs de mp3 existent depuis longtemps et avaient des performances médiocres ou supérieure à l’iPod selon comment est ce que l’on définit la performance (parce que être obligé de passer par i-Tunes est pour certains un réel handicap alors que pour d’autres c’est une simplicité d’usage).
    Que les lecteurs mp3 opèrent une rupture technologique cela est certain, et au départ les produits et le marché n’étaient pas près si bien que il ne s’agissait que de servir des passionés d’informatique, des gens en avance sur l’équipement des ménages, mais qui avaient des goût et aspirations particulières.
    En ce qui concerne les voitures chinoise la question ne se limite pas à une une ruptrure par le bas. Il y a des « voitures copiées », c’est à dire des modèles d’il y a quelques années que Ford ou Opel ont revendus à des constructeurs Chinois. Les modalités du Ce sont donc des voitures de conception Europeennes mais plus anciennes qui vont servir le marché europeen à nouveau. Mais visiblement il y a un problème dans les modalité de la propriété intellectuelle, les chinois et les occidentaux n’en n’ont pas la même conception. Les firmes chinoises peuvent elles commercialiser des produits copiés en Europe? Versent elle des royalties et sur quelle valorisation?

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