Innovation, créativité: comment bâtir l’entreprise innovante selon Business Week

Un article très intéressant de BusinessWeek intitulé « Get creative – How to build innovative companies » souligne l’importance croissante de l’innovation dans l’économie actuelle, et plus particulièrement du design qui est présenté comme l’enjeu majeur des prochaines années. L’argument est qu’à l’économie du savoir va succéder l’économie de la créativité. Voici pourquoi.
Selon l’article, les travaux qui font appel à l’aspect analytique de l’activité industrielle, comme l’écriture de logiciels, la comptabilité et tous les services de ce type, ce qu’on peut appeler les activités de « partie gauche » du cerveau, sont de plus en plus sous-traitées dans les pays émergents. Le nouveau coeur de métier qui émerge est donc constitué des activités de « partie droite » du cerveau, en un mot, tout ce qui fait appel à la créativité. Oubliez les maths et l’ingénierie, bienvenue à l’imagination et l’innovation.
Derrière ce phénomène se développe la banalisation de la connaissance. Aujourd’hui, n’importe quel pays peut fabriquer une voiture, une chaîne hi-fi ou une fusée. Les pays occidentaux ont longtemps cru qu’ils se protégeraient avec leurs universités, leurs grandes entreprises, et d’une manière générale leur focalisation sur le haut de gamme et la valeur ajoutée (sauf peut-être la France qui fonde encore beaucoup d’espoirs sur la vache laitière).
Mais cela ne suffit plus. L’Inde compte plus de scientifiques de haut niveau que les États-Unis, sans parler de la Chine. D’où l’importance de la créativité. Ce qui compte désormais, c’est de créer des « expériences clients« , pas simplement des produits. L’expérience client, c’est ce qui fait la différence entre un iPod d’Apple, et les dizaines d’autres baladeurs numériques techniquement semblables, mais au fond tellement différents. L’expérience client, c’est Zara dont nous parlions dans un post précédent. La clé de cette approche réside dans la proximité – voire l’intimité – avec le client. C’est cette proximité qui va permettre d’innover en collant aux attentes des utilisateurs, voire en les anticipant.
BusinessWeek n’hésite pas à affirmer qu’une nouvelle génération de gourous est en train d’émerger sur cette question, au point d’éclipser la génération précédente, représentée par Clayton Christensen, abondamment cité sur ce blog. Selon l’article, Christensen se préoccupe d’innovation « macro », c’est à dire les innovations radicales, alors que l’important désormais serait l’innovation micro: mieux comprendre ses clients, augmenter la créativité, améliorer les produits, etc.

L’article a raison de souligner la tendance à l’égalisation des chances en matière de connaissances. La Chine et L’Inde, mais aussi la Corée du Sud sont au meilleur niveau scientifique et technique, cela ne fait plus aucun doute. Il a bien sûr raison de souligner l’importance de l’innovation pour résister aux pays à faible coût de main d’œuvre. Mais il se trompe sur plusieurs points:

  • Il est faux de dire que Christensen ne se préoccupe que de « macro » innovation. En fait, Christensen se préoccupe depuis toujours d’une chose, c’est de comprendre pourquoi les grandes entreprises n’innovent pas. On peut certes débattre à l’infini sur la distinction innovation radicale/innovation incrémentale, mais la question de fond demeure. Les entreprises, selon lui, n’innovent pas parce qu’il n’est souvent pas rationnel pour elles d’innover. L’innovation radicale appelle donc à une gestion différente.
  • Il est faux de prétendre que l’innovation est uniquement une affaire de créativité. Depuis longtemps, on sait que les entreprises ne manquent pas d’idées. Chacun en a dix par jour. Pourquoi ces idées restent-elles coincées dans le magma organisationnel? Là est la vraie question. On ne peut pas distinguer la question de l’innovation de celle de l’organisation. L’article de BusinessWeek vante les mérites de gourous qui organisent des séminaires de créativité pour CEOs: on est là dans la caricature éculée de l’innovation, celle du « Eureka! » mythique. Isolons le PDG dans une station de ski, et le miracle créatif se produira. Pourquoi le PARC, Palo Alto Research Center, certainement le laboratoire de recherche qui a produit le plus d’inventions fondamentales de l’informatique moderne n’a-t-il jamais réussi à en commercialiser une? Ce n’était guère un problème de créativité.
  • Bien sûr le design est important. L’iPod l’a bien montré qui ne doit son succès qu’au design. Mais il ne tient pas lieu de politique d’innovation.
  • Il n’est pas pertinent d’opposer cerveau gauche et cerveau droit. L’innovation ne porte pas seulement sur les produits, elle porte aussi, et souvent, sur les méthodes de conception et de fabrication. L’innovation, c’est ce qui fait que Sagem peut encore fabriquer des téléphones en France, que Tefal a mis la pilée à tous les fabricants d’appareils électro-ménager durant des décennies, en faisant tout fabriquer en France et que Swatch a non seulement résisté aux montres japonaises, mais a réussi à créer un segment, la montre de mode, d’où ils sont totalement exclus. Dans chacun de ces exemples, le design était crucial, mais il venait en complément d’un ensemble allant de la conception à la fabrication.

Une fois cela dit, la proximité avec les clients est un domaine important de recherche actuellement autour de notion d’innovation par l’usage et de « lead user« . L’idée est d’intégrer des utilisateurs pionniers dans le processus d’innovation, mais aussi que souvent, les innovations viennent des utilisateurs eux-mêmes. On lira avec intérêt les travaux d’un spécialiste du domaine, Eric Von Hippel, dont les livres sont en téléchargement gratuit sous licence Creative Commons.
Bref, l’innovation, un sujet chaud.

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