Faire émerger de nouveaux leaders mondiaux en Europe

Un article très intéressant d’Emmanuel Leprince paru dans le Monde du 22 février fait un constat inquiétant – encore un: les 25 plus grandes sociétés européennes actuelles existaient déjà en 1960, tandis que 19 des 25 plus grandes sociétés américaines sont des PME récentes qui ont réussi à se hisser au sommet. Autrement dit, il n’y a pas de renouvellement des grandes entreprises en France. Il s’agit d’un problème important, à l’heure où le manque de dynamisme industriel et l’absence d’innovation suscitent l’inquiétude: les grandes entreprises traditionnelles, surtout en France, sont en général peu innovantes et dans des secteurs relativement classiques. Il y a peu d’acteurs français dans les domaines émergents des nouvelles technologies. Or c’est l’apparition continue de nouveaux champions qui constitue le véritable moteur de la croissance d’une économie.

La vraie question qui se pose en France est donc de savoir comment on peut faire émerger de nouveaux champions, et non, comme le pensent les nostalgiques de l’ère Pompidou, comment renforcer de supposés champions nationaux existants, dont on ne peut attendre grand-chose. L’article souligne les difficultés d’accès au financement – tout dirigeant de PME vous dira qu’il vaut mieux ne pas avoir besoin de sa banque. Au-delà du financement et du réflexe « plus d’aides publiques », d’autres voies sont cependant possibles, plus dans l’esprit du marché et donc probablement plus efficace. C’est le sens d’une initiative prise par le Comité Richelieu, qui représente les intérêts des PME innovantes et que dirige Emmanuel Leprince. Elle consiste à promouvoir une version française du  Small Business Act existant aux Etats-Unis. L’idée du SBA est de réserver une partie des marchés publics à de petites entreprises (un peu plus de 20%). Pour qu’une grande entreprise puisse avoir un marché, elle doit obligatoirement en sous-traiter une partie à une PME. Une telle loi force donc les grandes entreprises à intégrer les petites dans leur action.

Contacté au sujet de ce post, Emmanuel Leprince ajoute: « La qualité des relations entre les grands comptes et les PME innovantes, c’est-à-dire entre entreprises établies et nouveaux entrants, est au cœur du problème: il existe un refus culturel du risque, et donc une préférence donnée aux entreprises établies (par l’Etat, les investisseurs, les jeunes diplômés et les acheteurs), ce qui entraîne un « drame » en deux temps :
1. Très grandes difficultés pour les jeunes entreprises innovantes pour vendre à ces acheteurs,
2. Quand elles y arrivent (cad quand elles ont un potentiel de croissance), grand risque de pillage par des entreprises établies intrinsèquement favorisées.
Pour résumer, pour les jeunes entreprises innovantes, les entreprises établies sont de trop mauvais clients et de trop bons concurrents.
 »

La situation est en outre aggravée quand on sait que les grands groupes ont considérablement durci leurs politiques d’achat ces dernières années : diminution du nombre de fournisseurs, durcissement des conditions, allongement des durées de paiement, etc… Toutes mesures qui tendent à exclure les PME des contrats avec ces entreprises.
Sans nécessairement aller jusqu’à la loi – l’approche législative étant toujours lourde et contraignante – le Comité Richelieu tente de promouvoir un « nouvel esprit » de coopération auprès de certaines grandes entreprises. A la suite de cette initiative, douze d’entre elles se sont engagées sur des approches concrètes pour faciliter l’appel aux PME dans leur activité. Parmi elles : Alstom, EDF, La Poste, Renault, SNCF, etc. Pour plus d’info: http://www.pactepme.org .
Il s’agit d’une démarche certes modeste, mais très ciblée et pragmatique, et c’est précisément pour cette raison qu’elle apportera certainement quelque chose. Au-delà, il faut poursuivre la réflexion sur les moyens à mettre en place pour faire émerger les champions français de demain. Les réponses, comme le montre l’initiative du Comité Richelieu, ne viennent pas forcément de l’Etat.
Le site du Comité Richelieu: http://www.comite-richelieu.com

2 réflexions au sujet de « Faire émerger de nouveaux leaders mondiaux en Europe »

  1. Exact: toute « protection » pose effectivement un risque de mauvaise habitude et de fragilisation, et rien de tel que de se frotter à la concurrence. Toutefois, l’idée de forcer une partie des marchés publics pour les petites entreprises reste à étudier, en se méfiant naturellement des effets pervers. Ce n’est pas naturellement que les petites entreprises soient mieux que les grandes. C’est simplement reconnaître que le système tend à les exclure systématiquement, et que le-dit système le paie très cher en retour. La discrimination positive sans doute pas, un peu d’oxygène probablement oui…

  2. Cette analyse est intéressante. Mais imposer aux marchés publics de faire travailler les petites sociétés pourra se retourner contre le système. Les marchés sont mondiaux. Les petites sociétés innovantes doivent prendre le marché mondial comme champ d’action : c’est une clé du succès pour réussir. Une plus grande facilité à travailler avec les services publics va les inciter à retarder à plus tard l’inévitable attaque du marché mondial. Elles prendront de mauvaises habitudes qui les limiteront dans leur succès… Le « small business act » se situait à une autre époque où les marchés étaient locaux.

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