Après la délocalisation, la relocalisation? Les limites de la sous-traitance

Connaissez-vous Narayana Murthy? Si non, vous devriez. C’est le fondateur d’Infosys, la première société de service indienne: 1,6 milliards de dollars de chiffre d’affaire, 40 nouveaux ingénieurs recrutés par… jour. Encore un gueux qui a débuté dans sa cuisine… Au hasard d’une lecture dans Fortune, je note sa citation préférée, qui vaut vraiment la peine de s’y arrêter: « L’amélioration de la productivité vient de la conversion des transactions synchrones en transactions asynchrones« . Par exemple, passer du téléphone (synchrone) à l’email (asynchrone). A première vue, cela tombe sous le sens et il s’agit d’une excellente formalisation des derniers progrès de la technologie. L’asynchrone permet par exemple la constitution de larges bases de données qui accumulent le savoir. Elle permet aussi de réfléchir avant de répondre. Elle permet aussi, plus sournoisement, la sous-traitance en dissociant les acteurs et en les reliant par un fil asynchrone: le programmeur français va se coucher en passant la main à un programmeur indien au loin.

Et pourtant, dans le même numéro de Fortune, je lis avec intérêt l‘histoire de Michael Fields, entrepreneur, dirigeant de Kana, une entreprise de logiciel, qui a renoncé à la sous-traitance et qui a tout rapatrié chez lui. La raison? Selon lui, la sous-traitance est un non-sens économique, à moins d’être une entreprise de très grosse taille. On passe plus de temps à gérer la gestion qu’à faire le travail. En outre, la sous-traitance consiste à transférer sa propriété intellectuelle à des tiers, que l’on ne contrôle pas, d’autant moins qu’eux-mêmes sont soumis à un turnover très important de leurs employés. Est-ce un risque raisonnable? Mais ce n’est pas là le plus important. Michael Fields estime que le développement logiciel est un processus collaboratif qui fonctionne mieux lorsque tous les acteurs – concepteurs, gestionnaires de projet, programmeurs, marketing, etc. –  sont sous un même toit. « Si votre équipe n’est pas fortement soudée, vous verrez des ré-écritures, des problèmes de performance, et plus de retards » indique-t-il. La séparation entre conception « à l’ouest » et réalisation « à l’est » est en effet un non-sens industriel pour quiconque sait ce en quoi consiste le développement logiciel. Les industriels ont appris depuis longtemps qu’on ne pouvait séparer conception et réalisation, mais, semble-t-il, les informaticiens ne le savent pas encore. Ou plutôt, ceux qui les gèrent 😉 Une bonne organisation et une bonne équipe suffisent à augmenter le niveau de créativité, de réactivité et au final de productivité pour largement compenser les coûts salariaux. Quiconque a été associé à un projet sous-traité en Inde le sait aussi. En substance, Michael Field prône… une approche totalement synchrone. Ce qu’il suggère, au contraire de N.Murthy, c’est que l’asynchrone, et donc la sous-traitance, sont en fait des sources de pertes de productivité. Tout le monde sous un même toit, travaillant ensemble de manière synchrone, sans déperdition d’énergie, sans perdre de temps à gérer la gestion. Le synchrone a de l’avenir.

Mise à jour: Sur les limites de la délocalisation et la capacité de l’Europe à maintenir une industrie, voir mes billets sur Zara et Alsatextiles. Voir également le billet « Il n’y a pas de marché mature ».

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